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Première incursion réussie de Kotaro Fukuma dans les sonates de Beethoven

Possédant un répertoire proprement étourdissant, remarquable transcripteur de surcroît, le pianiste japonais, si apprécié en France, a choisi trois œuvres phares du répertoire classique. Un trio gagnant.

« Sobriété ». C'est le mot qui vient à l'esprit dès les premières mesures de la Sonate en ré mineur op. 31 de Beethoven. Une « sobriété » qui se libère progressivement de l'apesanteur de l'écriture. La concentration du toucher est, tout d'abord, étourdissante. La clarté de la pulsation, la tenue d'une voix et le jeu sur les résonances d'une autre, l'approfondissement des silences qui ne sont jamais factices… crée une dramatisation personnelle, profondément classique, ensuite, dans la mesure où elle respecte scrupuleusement les règles pour mieux s'affranchir de l'expression. L'analyse a été fouillée dans les moindres détails, placée au service de ce jeu de « questions / réponses » qui culmine dans l'Adagio avant de se résoudre dans le Finale. Les phrases antagonistes s'attirent irrésistiblement et le caractère trop souvent improvisé, inutilement rageur de l'Allegretto est tenu, ici, avec une suprême élégance. Un soupçon d'humour, peut-être, aurait été bien venu tant la rage sous-jacente s'alimente elle-même de sa propre et joyeuse futilité.

Assez peu proposée en récital, la Sonate en fa dièse majeur op. 78 était l'une des préférées de Beethoven, qu'il trouvait, d'ailleurs, supérieure à la fameuse « Clair de Lune », trop célèbre, probablement. Le caractère intimiste du premier des deux mouvements révèle, en tout cas, l'art du chant de l'interprète. Ici, le son est plein, mais d'une « plénitude » qui n'a rien de contemplative ! Le tempo avance, sans esbroufe et l'architecture est construite avec sûreté et souplesse. Rien de forcé dans le jeu, laissant toute la place au Finale, véritable divertissement où il faut s'amuser pour briller. C'est l'art du caprice et le plaisir que prend à jouer des contrastes les plus marqués, à « balancer » sans raideur les petits motifs dans l'aigu du clavier qui nous indique à quel point il comprend et savoure cette musique.

Deux mouvements, encore, mais avec une toute autre partition : la Sonate en ut mineur op. 111. On n'épiloguera pas sur la structure qui a volé en éclats et concentre le récit vers « l'inexorable », un drame lyrique. Ici, c'est un combat que livre le pianiste. Pas tant un combat technique, ni même physique, mais une lutte dans laquelle il faut transfigurer la pulsation terrestre pour atteindre un état autre.  joue à nouveau du flux et du reflux de la musique, l'accompagnant d'un geste que l'on devine souple. A chaque reprise des éléments des deux thèmes, il recompose son énergie. La difficulté est alors d'occuper les espaces vacants entre ceux-ci. Ainsi, dans l'Allegro con brio ed appassionato, tel motif fugué trop impeccablement tenu laisse fuir un peu de la tension. Cela se serait-il produit en concert ? Mais ce qui est remarquable, c'est assurément l'absence de dureté dans les “orages” qui n'exploseront que dans le Finale. Que l'Arietta de celui-ci est bien chantée, comme si l'interprète songeait, dans ces variations, aux Goldberg ! Il avance avec détermination, sûr de maîtriser l'architecture. Sans aspérité et sans drame. Kotaro Fukuma répartit l'effort, pense loin, exposant avec humilité, les métamorphoses vers un accroissement de la vélocité et l'accumulation de rythmes de plus en plus irréguliers avant la paix conclusive. Impérial.

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