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L’École Normale de Musique de Paris, entre adaptation et exigence

Alors que l’année étudiante précédente a été bouleversée et que la crise sanitaire contraint toujours les enseignants à s’adapter, la directrice de l’École Normale de Musique de Paris, Françoise Noël-Marquis, répond à nos questions.


ResMusica : Comme toutes les écoles, l’École Normale de Musique a dû faire face à la pandémie du Covid-19. De quelle façon avez-vous pu vous adapter et vous organiser ?

Françoise Noël-Marquis : L’École Normale a été confrontée au problème dès janvier avec la perspective du retour de Chine des étudiants partis pour les congés de Noël. Ils ont tous été identifiés, contactés et mis en « quarantaine » à leur retour. Nous étions donc dans les procédures sanitaires avec au moins deux mois d’avance sur la plupart des organisations… Ensuite pendant le confinement et la fermeture de l’école jusqu’à fin juin, pratiquement tous les cours ont pu être dispensés par les professeurs à distance, chacun par ses propres moyens, et en jonglant avec les décalages horaires… une centaine d’étudiants étant en effet repartis dans leurs pays. Pendant toute cette période nous avons eu un point précis tous les vendredis par chaque professeur sur son activité pédagogique de la semaine et la situation de ses étudiants. Le dévouement de notre corps enseignant a été admirable.

RM : Vous accueillez des élèves d’une cinquantaine de nationalités différentes. Les élèves qui ont été contraints de rentrer dans leur pays et qui n’ont pu revenir, ont-ils la possibilité à présent de valider leur année ou leur cursus ? De quelle façon ?

FNM : Nous avons envisagé plusieurs options pour la validation de l’année académique 2019/20 : report des examens, épreuves en ligne, enregistrement etc. Mais quelle que soit la solution, compte tenu des situations très diverses des étudiants, il était impossible de garantir l’égalité des chances. Nous n’avons pas voulu par ailleurs en rajouter au niveau du stress pour tous ces jeunes musiciens étrangers dont beaucoup étaient loin de chez eux et confinés parfois dans des conditions difficiles.

Nous avons donc décidé de valider l’année 2019/20 sur dossier et entretien avec les professeurs. La seule exception concerne le Diplôme de Concertiste, notre prestigieux diplôme d’artiste, pour lequel le concours qui aurait dû avoir lieu en mai est reporté en décembre.

RM : Vous êtes une école privée, la situation actuelle vous prive-t-elle de nombreuses inscriptions et donc de ressources ?

FNM : Les inscriptions ne sont pas terminées. Bien que la rentrée soit toujours début octobre, historiquement à mi-septembre nous ne sommes qu’à la moitié du chiffre final, les inscriptions continuent tout le mois d’octobre. Il est donc difficile de prédire à quel niveau elles vont se situer au final, mais oui, nous nous attendons à une baisse cette année. Ce qui se traduira donc nécessairement par une baisse des revenus. Et nous n’avons aucune subvention… Mais grâce au soutien et à l’engagement de ses mécènes, très attachés à l’École Normale, cette dernière peut supporter une année plus difficile.

RM : La provenance géographique des étudiants cette année a-t-elle été totalement modifiée par rapport aux années précédentes ?

FNM : Il est trop tôt pour avoir une visibilité réelle mais je n’ai pas l’impression pour le moment d’une évolution vraiment sensible dans la répartition par pays…

RM : L’école s’est équipée d’une plateforme numérique d’enseignement à distance pour les étudiants qui ne pourront pas débuter leur année. En quoi cela va-t-il consister précisément ? Comment ont réagi les enseignants ?

FNM : L’expérience du confinement a été très utile dans cette perspective : elle a démontré que l’enseignement à distance était possible (à défaut d’être idéal) même en musique. Mais dans la perspective d’une prolongation de la crise sanitaire, il fallait professionnaliser et sécuriser la démarche pour sortir du « système D ». Le grand avantage d’une telle plate-forme, c’est qu’elle permet aux professeurs et aux élèves de se connecter quel que soit leur équipement (PC, smartphone, tablette…). Elle donne aussi la possibilité aux professeurs de combiner cours à distance et cours en présentiel dans une même salle de cours. Les cours magistraux peuvent être suivis en live streaming ou en différé. On peut par ailleurs y mettre du contenu à disposition des étudiants (documents, enregistrements…). Nos professeurs ont bien compris l’intérêt de la démarche dans le contexte actuel.

RM : Ce type d’enseignement à distance ouvre-t-il des perspectives futures pour l’enseignement à l’ENM ?

FNM : Nous sommes pour le moment en priorité sur la gestion de cette période de crise. Pour le futur, cet outil nous sera certainement utile pour faire face à d’autres formes de situations « d’empêchement », les grèves dans les transports par exemple.

Au-delà de cette fonction de « sécurisation » de l’activité de l’école, c’est vrai qu’il peut aussi nous faire repenser la forme de certains cours magistraux, pour mieux utiliser le temps en présentiel. Plus généralement, le système de gestion de contenu (CMS) et les outils associés vont permettre d’organiser via le réseau de nouvelles formes d’interactions entre enseignants, étudiants et ressources pédagogiques. Rien n’empêche non plus d’imaginer de proposer en ligne certains cours, master classes, séminaires ou conférences pour un public d’auditeurs.

Mais il m’est pour le moment difficile d’imaginer qu’on puisse concevoir un enseignement entièrement à distance dans le domaine musical, autrement qu’en cas de situation exceptionnelle et provisoire, quand on vise l’excellence artistique…

RM : Pour vos étudiants, devez-vous repenser actuellement l’approche vers l’insertion professionnelle (stages, auditions, concours) ?

FNM : La seule conséquence notable sur ces sujets a été l’organisation depuis quelques mois de concours ou auditions exclusivement sur enregistrement, y compris la phase finale. Comme c’était déjà beaucoup le cas pour les pré sélections, nous étions déjà organisés dans cette perspective, le changement n’est pas radical. L’École Normale est plutôt avantagée sur ces sujets avec l’acoustique exceptionnelle de la Salle Cortot… et ses deux nouveaux magnifiques pianos de concerts Steinway !

RM : Quels sont les axes de formation que vous souhaiteriez particulièrement développer à l’avenir ?

FNM : Notre responsabilité en tant qu’établissement d’enseignement supérieur est de donner à nos étudiants le maximum de chances pour pouvoir vivre de leur passion. Cet objectif passe par adapter en permanence la formation à ce qu’est en train de devenir le musicien d’aujourd’hui, à savoir un « polyvalent ». Tout ce que nous développons au niveau des cursus supérieurs, depuis quelques années, va dans ce sens : développement de la filière diplômante en musique de chambre, encouragement à la polyvalence pour les vents avec cours de clarinette basse pour les clarinettistes, ou de piccolo pour les flûtistes, initiation à la direction d’ensemble proposée à tous les étudiants inscrits en préparation du Diplôme de concertiste, et cette année initiation à la fonction de pianiste chef de chant pour les pianistes.

Le défi qui est le nôtre est de parvenir à combiner ce nécessaire enrichissement des cursus avec le maintien du niveau d’exigence très élevé qui est la réputation de l’École Normale …

 Crédits photographiques : © École Normale de Musique de Paris/A.Cortot

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