- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Colin Roche, au cœur du temps et des choses

Voix douce, approche féline et calme intérieur : le compositeur aime entretenir un certain mystère, voire une aura de silence autour de sa personne.

Les titres de ses œuvres, Érotique de l'allumette, La pomme de terre dévoilée, Le cri de l'étoffe etc. révèlent un attachement à l'objet du quotidien dans le sillage de Francis Ponge, son maître à penser. Regardant vers le plasticien Roman Opalka, Le livre des Nombres et Roman au miroir (Sisyphe à ma table) sont deux œuvres performatives qui questionnent le processus de création.

Sous le titre La fabrique, quatre pièces instrumentales solistes font état de ce rapport sensuel, charnel avec la matière qu'entretient le compositeur : dans Érotique de l'allumette, pour contrebasse, l'instrument est frotté, gratté, tapoté sur le bois autant que joué avec l'archet, laissant percevoir l'énergie du geste, le souffle, la respiration de l'instrumentiste à l'œuvre. La démarche relève d'une musique concrète instrumentale dans un « parti pris des choses » qui regarde plus vers Francis Ponge qu'Helmut Lachenmann.

État second du verre d'eau (2012) convoque la flûte basse () articulant sons bruités (coup de glotte, souffle) et gestes énergétiques qui retombent brusquement dans le silence. Oscillations ténues, souffle, sons tremblés s'entendent dans Au fil des pas (ou l'inachèvement perpétuel) où la voix caressante de l'interprète accompagne le jeu du violoncelle (). À chaque chose ciblée, sa matière instrumentale : la flûte piccolo pour L'Intrigante (lèvres sur Silex). Il s'agit de traduire cette volupté du vin dans la bouche, « ce qui frappe et minéralise le palet » nous dit le compositeur qui sélectionne les sons, arbitre les gestes et enchaîne les actions pour « cette mise en bouche » auriculaire.

Le livre des nombres

Un cœur qui bat et qui s'affole, connecté, via des capteurs, à l'énergie de la plume et son action plus ou moins nerveuse sur le papier ; des bruits parasites liés à la scène qui se joue en temps réel, avec le chant intermittent des oiseaux : Le livre des nombres est une performance donnant à voir le compositeur dans le temps qui précède l'écriture musicale et dont le CD restitue ici la trace sonore.

Les battements du cœur enregistrés sont convertis numériquement sous forme de relevés imprimés, des nombres que va inscrire inlassablement et dans la plus grande concentration, sur la feuille blanche. « Il faut s'oublier, s'ennuyer à soi-même pour pouvoir recevoir ce qu'il va se passer » confie-t-il. C'est cette attente, longue et patiente, avant le son – la présence pensante du compositeur – que l'on entend s'écrire et qui devient, pour , la structure même de la musique.

Roman au miroir

Peindre des chiffres blancs sur fond noir, puis blancs sur blanc, c'est ce qu'a fait le plasticien franco-polonais Roman Opalka sa vie durant. Dans Roman au miroir (Sisyphe à ma table), sous-titré « Études de voix », Colin Roche réitère cette manière compulsive avec sa voix, projetant les chiffres sur la toile sonore dans un flux litanique et obsessionnel où le chiffre 1 signale les retours en arrière. Mais d'autres voix et d'autres langues s'invitent – russe, espagnol, hébreu, coréen, etc. – dans une dimension sonore et polyphonique rien moins que fascinante. Le grain de la voix, son débit et sa proximité au micro, autant que la phonétique des langues qui se superposent, prennent une richesse musicale insoupçonnée.

L'enregistrement s'est fait en une seule prise, sans montage, à Chaykovsky, ville russe où Colin Roche avait une résidence auprès de collègues et amis – Dmitri Kourlianski, , Cameron Graham, etc. – qui prêtent leur voix à cette performance collective : sensuel et envoûtant.

(Visited 841 times, 1 visits today)