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Le label DUX rend hommage à Henryk Mikołaj Górecki

Pour les dix ans de la mort de Henryk Mikołaj Górecki, le label DUX grave en deux CD ses sept cycles de mélodies jamais encore réunis ainsi que Sanctus Adalbertus, une œuvre que le compositeur n'a pas pu entendre de son vivant.

Sous-titré oratorio pour soprano, baryton, chœur et orchestre, Sanctus Adalbertus de Henryk Mikołaj Górecki fait plutôt figure de cantate religieuse, voire de prière, que le compositeur écrit sur le Livre des Psaumes et sur ses propres textes, mêlant les langues latine, polonaise et tchèque.

La pièce a été composée en 1997 pour le millénaire du Saint martyr Adalbert mais la création, prévue l'année de la venue du pape Jean-Paul II en Pologne, n'a pu avoir lieu en raison de la maladie de Górecki. Retrouvée par son fils dans les archives du compositeur, la partition est donnée en création posthume à Cracovie, en novembre 2015. L'œuvre devait faire partie d'un cycle de trois pièces consacrées aux martyrs polonais, dont celle dédiée à Maximilien Maria Kolbe, mort à d'Auschwitz. C'est en résumé ce que nous dit, en polonais, la voix du présentateur sur la première plage du CD.

Plus cantate qu'oratorio donc, car la dimension dramatique, n'étaient les violents contrastes de dynamiques qu'aime susciter le compositeur, est absente de cette œuvre conçue dans le temps de la prière et rythmée par les sonneries de l'office. Ce sont elles (les cloches tubes) qui introduisent la première des quatre parties, Psalm : le chœur homophonique doublé par les cordes, chante le texte latin en notes égales sur des inflexions modales avant de scander le mot Alleluia sur lequel interviennent les deux voix solistes, la soprano Ewa Tracz et le baryton Stanislav Kuflyuk. On ne peut s'empêcher de penser à Messiaen dans les premières pages du Lauda clamé par le chœur sur les résonances éclaboussantes du tam : volonté chez les deux compositeurs d'exprimer, à travers le son et sa résonance, le mystère des Corps glorieux. Mais la comparaison s'arrête là. Le Sanctus est chanté sur la trame des cordes en rythme obstiné (brève-longue), dans un lent processus d'intensification jusqu'à la scansion finale : chœur d'hommes d'abord, puis chœur de femmes et chœur mixte, selon les trois injonctions du Sanctus jusqu'à l'Alleluia. Moment d'émotion rare, le chant en polonais qui s'élève dans Hymnus sous la seule résonance de la percussion, inscrit cette page, que l'on aurait souhaitée beaucoup plus longue, dans la grande tradition chorale du pays : chant profond au spectre harmonique coloré – on entend les partiels des voix graves – que restitue à merveille le Chœur philharmonique de Silésie placé sous la direction de Mirosław Jacek Błaszczyk. Les manifestations bruyantes qui suivent (Sancte Adalberte), convoquant orgue et cloches sur un simple balancement harmonique, ne manquent cependant pas de ferveur mais sont plus galvaudées, comme les interventions des deux solistes sur l'Alleluia. Le Gloria in excelsis n'évite pas les effets de masse, de grandeur et de puissance attendus, intervenant au terme d'une longue introduction instrumentale des cuivres sur fond de cordes qui tissent une trame de plus en plus dense. La coda dépouillée crée la surprise, ramenant la scansion émotionnelle des voix de basses : superbe !

Les sept cycles de mélodies

Górecki avait rêvé de voir réunis ses sept cycles de mélodies au sein d'un même enregistrement. Ce qui n'a pas été réalisable de son vivant advient aujourd'hui, grâce au label DUX et à l'engagement de la pianiste polonaise Ewa Guz-Seroka entourée de trois artistes d'élection. Ce double album donne à entendre une vingtaine de mélodies (songs) présentées chronologiquement, qui révèlent la part intérieure et profondément spirituelle de la musique du compositeur. Elles jalonnent pratiquement toute sa carrière, de 1950 à 1996 et puisent à différentes sources, littéraires autant que religieuses. Les thématiques sont assez sombres (le registre des voix l'est aussi), abordant les questions existentielles du temps, de la perte, de la mort mais aussi de la foi en Dieu, de l'éternité… Tels sont les textes de Juliusz Słowacki, le poète préféré de Górecki, sur lesquels le compositeur écrit ses premières mélodies (Three Songs op. 3 de 1956) dédiées « à la mémoire de ma chère mère ». Son modèle est le Lied romantique des Schubert, Schumann et Brahms, où la musique est mise au service de l'expressivité du texte que le compositeur dit devoir « absorber » avant d'écrire la moindre note. Même si la ligne chantée n'est souvent que pure déclamation sous un accompagnement de piano décanté, ses mélodies réclament des voix longues, capables de varier très rapidement leur amplitude en vertu des contrastes de dynamiques qu'affectionne le compositeur. Des capacités que requièrent la contre-alto (Ode to Freedom, op. 3) et le baryton-basse (Two sacred Songs op. 30bis) louvoyant sans cesse entre puissance et fragilité de l'expression.Très étonnantes sont ces deux mélodies de Lorca (traduites en polonais, langue sonore et colorée comme l'espagnol !) que traversent mystère et silence. Dans Nocturne, le matériau est réduit à l'essentiel : inflexions modales et accords parallèles du piano sur lesquels s'inscrit la voix somptueusement timbrée de la mezzo-soprano . Un balancement d'accords de couleur au piano ourle le chant de Malagueňa soumis aux mêmes variations de dynamique. Impressionnante également est la voix quasi recto-tono du baryton sur la stricte scansion des accords du piano dans Compassion, extrait des quatre Blessed Raspberry Songs op. 43. L'hymne qui referme le premier CD semble faire écho au dernier Lied (der Leiermann) du Winterreise de Schubert : même allure figée et dénuement de l'écriture ménageant un long postlude d'une expression pénétrante sous les doigts d'Ewa Guz-Seroka, maître d'œuvre zélée, rappelons-le, de cette très belle intégrale.

Le chant plus austère se fait prière fervente, supplication voire révolte dans In tears, Lord, we raise our hands to you (extrait de Two Songs of Juliusz Slowacki de 1983), pièce de plus grande envergure qui ouvre le second CD. La diction lente, espacée par des silences, du baryton-basse est soutenue par les accords complexes du piano. Caressante et lumineuse en revanche est la voix de dans By the window, by my window (Three Songs of Maria Konopnicka op. 68) dont la mélodie très fraiche et quasi strophique regarde vers l'art de Schubert. Le ton change, plus intérieur et sombre, dans Three Fragments of Stanisław Wyspiański, op. 69 (1995-1996) écrits sur des textes extraits de la pièce de théâtre de l'écrivain, Les Noces. Le langage harmonique s'est émancipé (prélude et interlude du piano) même si le discours ramène toujours in fine la consonance tonale. Le texte est quasi déclamé dans un temps très étal par dont seul le registre de la voix varie. Le flux régulier des accords de couleur (notes ajoutées) sur lequel s'inscrit la voix délicate de la mezzo-soprano dans la dernière partie, Poetry! You are a tranquil siesta, ne laisse d'évoquer la Louange à l'éternité de Jesus-Christ du Quatuor pour la fin du temps de Messiaen : ton de la prière et temps de la contemplation. C'est à cette expérience spirituelle que le compositeur, profondément attaché à sa foi catholique, veut nous convier à travers la musique. Plus que dans Sanctus Albertus, c'est dans la traduction musicale de ces textes choisis qu'il nous touche véritablement.

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