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Sophie Junker : pour les charmes de La Francesina

Dans un programme conçu comme un hommage à une des plus attachantes chanteuses de Haendel, s'affirme comme une interprète marquante de la jeune génération.

Le disque hommage à un grand chanteur du passé semble être devenu un passage obligé pour nos jeunes interprètes de musique baroque. Ces dix dernières années ont vu ainsi apparaître tout un florilège de productions discographiques concentrées aux grands castrats (Farinelli, Senesino, Caffarelli, Guadagni…), mais également aux grandes sopranos du XVIIIᵉ siècle. Grâce aux efforts de Simone Kermes, Vivica Genaux, , et bien d'autres encore, les répertoires des Francesca Cuzzoni, Faustina Bordoni, Giulia Frasi, Anna de Amicis d'autrefois nous sont désormais familiers.

C'est aujourd'hui à la mystérieuse figure de la soprano française Élisabeth Duparc, dite « La Francesina », que s'intéresse la jeune chanteuse belge . Bien qu'elle eût créé pas moins de douze rôles écrits par Haendel, la vie et la carrière de cette cantatrice du XVIIIᵉ siècle reste relativement peu documentées en dehors de ses années londoniennes. Ces années correspondent d'ailleurs à la période au cours de laquelle Haendel multipliait ses expériences dans le domaine de l'oratorio anglais, tout en continuant vaille que vaille à assurer ses saisons d'opéra italien. Même si les critiques de l'époque qui la comparaient aux grandes stars du chant italien comme Cuzzoni et Bordoni semblent l'avoir quelque peu dénigrée, la difficulté technique des rôles que Haendel avait composés à l'intention de sa « petite Française » attestent du haut niveau de virtuosité vocale atteint par son interprète de prédilection. Les incroyables acrobaties pyrotechniques du « Prophetic raptures swell my breast » de l'oratorio rarement donné Joseph and His Brethren, ou encore du célébrissime « Myself I shall adore » de Semele, en disent long sur les capacités vocales qui devaient être celles de La Francesina. On n'en sera pas moins admiratif de toute l'intériorité mélancolique qui se dégage des airs dans lesquels la Iole de Hercules pleure la mort de son père (« My father ! Ah ! »), ou la Michal de Saul celle de Saül et de Jonathan. À l'aise également dans l'opéra italien, Élisabeth Duparc avait interprété le rôle-titre de Deidamia, Clotilde de Faramondo et Romilda de Serse.

Dans tous ces rôles, est une véritable révélation, et l'on ne sait s'il faut davantage admirer la hardiesse des vocalises, piqués et autres traits de virtuosité, ou au contraire la noblesse des phrasés dans les morceaux plus lents. La diction anglaise, par sa clarté et son mordant, est digne des plus grandes cantatrices anglophones, et la prononciation de l'italien est tout à fait à l'avenant. La musicalité exemplaire de la jeune interprète, ainsi que l'expression qu'elle met dans son texte, donnent parfois l'impression de faire entendre pour la première fois des pages pourtant bien connues des amateurs de musique baroque. À ses côtés, est admirable également, emporté par la direction ciselée de . Voilà un album qui redonne tout son sens au concept du disque hommage à un grand interprète du passé, sans doute en partie car il nous révèle un des grands noms des décennies à venir.

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