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Les visions nocturnes de Michail Travlos ou l’art de la miniature

La musique de chambre du compositeur grec nous arrive rarement aux oreilles en France. Elle vaut cependant le détour. Night Visions rassemble sept œuvres raffinées sur le thème de la nuit, du solo au quatuor, couvrant trente-cinq ans de carrière, de 1983 à 2018.

Il ne faut pas s'attendre à une débauche de nocturnes romantiques et autres parfums de la nuit impressionnistes en écoutant ce disque, sinon soigneusement distillés au détour des vingt-et-une pistes qui le composent. Les visions nocturnes de aspirent à d'autres contrées musicales, où l'évocation sonore semble partager à part égale la préoccupation d'une musique abstraite, savamment ciselée par l'écriture. C'est le cas des Five Midnight Scenes, emportés par la flûte d', à laquelle offre un contrepoint subtil la clarinette d'Adam Eljasiński sur les harmonies mouvantes et mystérieuses du vibraphone de . Le trio maîtrise les subtilités de cet opus avec une belle complicité et un certain panache, la précision chirurgicale n'excluant jamais la sensibilité, comme dans la superbe introduction au vibraphone de « Midnight Express » ou dans les guirlandes colorées et les lignes sinueuses de « Midnight Church ».

Au centre du disque se succèdent des œuvres solos, principalement pour le piano, interprétées par . Les Five Short Modern Jazz Studies sont fort loin du jazz annoncé mais remémorent surtout la perfection horlogère d'une musique sérielle, teintée de multiples syncopes et accents rythmiques décalés. Cette mécanique impressionnante mais sans l'ombre d'un swing est à l'image des références au jazz de Stravinski. Le très beau Rondo de la nuit sonne clairement impressionniste et rappelle les évocations faites en leur temps par Debussy, Duparc ou Ravel, détonnant avec la majorité des pièces rassemblées sur le CD. La Miniature qui suit sur un rythme de danse populaire se teinte quant à elle des dissonances de l'expressionnisme viennois du début du XXᵉ siècle. Ces pièces pour piano sont ponctuées par Night Walk in the Woods, un solo où la flûte alto d' suit des chemins sinueux et changeants, et Dedication pour flûte et clarinette basse, le morceau le plus long du disque, qui fait dialoguer joyeusement les deux instruments dans une écriture strictement contrapuntique. L'album s'achève sur les Seven Short Pieces interprétées par le . Traversées de rythmes de danse, les lignes torturées et chromatiques se déploient en polyphonies serrées dans un sentiment d'urgence.

Les œuvres de , qui fut élève d' dans les années soixante-dix, semblent surgies d'un autre temps. On y perçoit les prolongements de l'impressionnisme et de l'expressionnisme qui débutèrent le siècle dernier, ainsi que les échos de l'exigence sérielle qui marqua des décennies d'histoire de la musique. Taillées dans le diamant avec application, ces miniatures exigeantes et délicates, parfaitement servies par des interprètes polonais aguerris à la musique contemporaine, offrent un joli panorama sur l'écriture du compositeur.

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