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Huitième de Chostakovitch par Kirill Petrenko et le Philharmonique de Berlin

Dans la grande salle de la Philharmonie de Berlin, désertée par le public pour les raisons que l'on sait, et les Berliner Phiharmoniker livrent une Symphonie n° 8 de Chostakovitch s'inscrivant dans la droite ligne des interprétations dites « occidentales ».

Succédant à la Symphonie « Leningrad », la Symphonie n° 8, composée en 1943, est également une symphonie de guerre qui se distingue de la précédente par l'absence de programme explicite. Véritable requiem profane, née d'une situation dramatique, le compositeur y évoque la guerre dans ce qu'elle a de plus intime et de plus profond, prenant presque une dimension ontologique, mêlant angoisse, souffrance et joie amère.

Là où Tugan Sokhiev, encore récemment, rejoignant en cela Mravinski ou Kondrachine, proposait une lecture noire, terrifiante, quasi expressionniste, faite de douleur, d'accablement et de violence nihiliste, préfère une vision d'une grande perfection formelle, haute en couleurs, plus sage, plus spiritualisée, en un mot plus « occidentalisée » dans le sillage d'un Haitink, s'opposant presque point par point aux interprétations russes, aidé dans ce choix par l'excellence de la phalange berlinoise à qui l'on peut tout demander en matière de nuances, de couleurs, de sonorité et de performances solistiques.

L'Adagio inaugural impressionne d'emblée par l'ampleur de la sonorité des cordes, tandis que la clarté de la texture donne à entendre jusqu'aux plus infimes détails d'une orchestration foisonnante. Le phrasé est très intériorisé, prenant la forme d'une authentique supplication, où Petrenko réussit la gageure de concilier tension et souplesse. Dans une transition subtile, le crescendo est conduit magistralement qui amènera à l'Allegro non troppo où le phrasé se creuse (cuivres, tambour, bois) sans jamais menacer les équilibres pour ne laisser finalement persister que des lambeaux de musique d'où émerge la cantilène douloureuse du cor anglais ouvrant alors sur une vaste déploration conduite par les cordes graves, dont les célèbres contrebasses berlinoises !

L'Allegretto dont les Russes font volontiers une marche inexorable, accablante, hostile et grinçante, est ici traité comme une musique de cirque humoristique, presque jubilatoire dans une explosion de timbres parfaitement réglée, faisant la part belle à la petite harmonie (piccolo, basson) et à la caisse claire.

L'Allegro non troppo mêle l'ostinato des cordes initié par les altos, les stridences des bois (hautbois, clarinette) et les menaces cuivrées (trombones et trompettes), paraissant plus envoutant qu'haletant. Loin de la course à l'abîme chère aux interprétations russes, Petrenko en fait une toccata assez théâtrale par sa richesse en nuances, presqu'apollinienne par la rigueur de sa mise en place.

Le Largo annonçant les trois derniers mouvements, joués enchainés, se déploie sur un tempo assez rapide, donnant forme à une déploration profonde s'appuyant sur le legato des cordes et un poignant solo de cor, juste troublée par les interventions déchirantes du piccolo, clarinette basse et flûte. Difficile d'interprétation, l'Allegretto final grandiose est envisagé par Petrenko comme un moment d'espoir, achevant cette superbe interprétation sur une note optimiste, soutenu, là encore, par des cordes très lyriques et des contrechants de basson…mais un crescendo menaçant vient bientôt troubler ce court moment d'apaisement avant que cuivres et percussions, violoncelle solo et violon solo n‘en surlignent la prégnante ambiguïté, confirmée par de lugubres pizzicati, s'éteignant dans un profond silence.

Crédit photographique : © Stephan Rabold

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