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Les trop calmes assurances du récital de Daniel Ciobanu

Lauréat du Concours Arthur Rubinstein, entre autres, le pianiste roumain propose un récital pour le moins étrange, associant des partitions sans liens entre elles. Leur lecture dissociée ne convainc guère.

La célèbre Sonate n° 7 (sonate de guerre) de Prokofiev semble avoir perdu une partie de sa force sinon de sa raison d’être. En effet, en détournant l’œuvre de son contexte historique – l’URSS au début de l’année 1942 – et, par conséquent, en omettant la violence inhérente à sa composition, l’interprétation de l’Allegro inquieto s’enferme dans une élégance charnue, diluant les tensions et les conflits, esquivant la férocité des cellules rythmiques. La partition, pourtant, ne se prête guère à une telle « saveur romantique ». À la limite du contresens, l’Andante caloroso débute sans projection et son lyrisme perd toute la véhémence de la complainte slave, chant de mort qui traverse Alexandre Nevski comme Ivan Le Terrible. Le finale n’est nullement precipitato, n’évoquant aucune panique, aucune épouvante. Une déroutante conception, pour le moins.

La sélection des Préludes du Premier Livre de Debussy est bien pensée. À l’indolence de Voiles, répond avec un peu de froideur, Les Collines d’Anacapri, rarissime incursion du musicien français dans les paysages d’Italie. Le piano en souligne l’architecture complexe. Belle lecture, aussi, Des pas sur la neige avec un toucher délicat tout comme La Fille aux cheveux de lin. Daniel Ciobanu est à son aise dans ces pages d’harmonies pures et pour lesquelles il creuse les détails jusque dans les incursions des musique de cabaret de Minstrels. La place logique de l’extrait de la Suite pour piano n°3 d’Enesco aurait été après les Préludes et non avant. Les cloches de monastère avec des clusters dissonants puis quelques teintes encore debussystes méritaient aussi l’ajout du Choral, sixième pièce de la Suite, dont l’absence se fait sentir. Le pianiste enferme Carillon nocturne dans une conception encore impressionniste alors que la pièce pressent déjà Messiaen.

Pourquoi avoir choisi, pour clore ce programme, Après une lecture du Dante de Liszt ? Quel rapport avec les pièces précédentes ? La progression dramatique, les changements de climats, les resserrements rythmiques de la partition tissent un cadre qui dépasse le propos pianistique. Après une Lecture du Dante, et si l’on se réfère au texte poétique, convie l’auditeur à une approche à la fois musicale et romanesque grandiose, mais sans graisse et digressions emphatiques. Or, le tempo choisi est l’un des plus lents de la discographie. C’est donc une prise de risques qui conduit à des effets théâtraux, à des maniérismes comme ces accords plaqués, écrasés ou bien ces silences calculés. La partition alourdie est portée sans urgence véritable, engoncée par des tempi alanguis (mesures 123 et suivantes spécifiées Andante – quasi improvisato – et jouées lento), des libertés avec le texte comme tel accord écrit sf et joué pp. L’auditeur profite assurément d’une si « bonne compagnie » et le diable n’a qu’à bien se tenir ! À vrai dire, il manque la démesure, la folie dans ce récital destiné davantage au prélude d’une soirée prometteuse, qu’à la certitude des flammes de la guerre ou de l’enfer…

 

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