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Sur la scène du Châtelet avec l’Intercontemporain

Haut les cœurs avec le concert « tout feu tout flamme » que Matthias Pintscher a donné avec l’Ensemble Intercontemporain pour clore cette année si particulière de 2020. 

Première des trois créations mondiales à l’affiche, Mono-drum, solo pour grosse caisse de la compositrice et percussionniste polonaise Agata Zubel, est une exploration virtuose autant que subtile de l’instrument, menée avec une maîtrise infaillible par Gilles Durot. Pas de tonitruance ni de pulse sauvage à la Xenakis. L’interprète a dans les mains deux balais (puis deux aiguilles à tricoter) pour tester « l’objet sonore » tous azimuts, sur la peau frottée et percutée mais aussi le métal de l’armature et les flancs du gros instrument : ça vibre, ça claque, ça crépite. Particulièrement ludique est cette séquence frissonnante avec les balles de ping pong projetées sur la caisse et le mode aléatoire de leur rebond : le tout est réalisé dans une frénésie rythmique et un continuum vibratoire qui captivent l’oreille autant que le regard. Entrelacs pour six instruments de Yan Maresz est une partition inscrite au répertoire de l’Ensemble qui l’a gravée en 2005. Elle se déploie en un flux sensible et obstiné (les motifs circulaires du piano sur des polarités très affirmées) auquel Matthias Pintscher donne toute sa souplesse et son élégance.

Très attendue est la nouvelle œuvre de Mikel Urquiza, commande de l’Intercontemporain dédiée à Matthias Pintscher, dont le titre laisse augurer quelque scène d’extérieur chère au compositeur. Oiseaux gazouillants et hibou qui se retourne est le nom d’un automate hydraulique construit par Philon de Bysance au IIIᵉ siècle av. J.C., lit-on dans la note d’intention. « Les trilles produits par les appeaux actionnés à l’eau s’arrêtent à chaque fois qu’un hibou métallique se retourne ». Tel est l’argument dramatique de cette « saynète» ornithologique qui renouvèle les couleurs de l’ensemble avec force appeaux (geai, canard, coucou, etc.), rossignol à vis, rhombe, flûtes à coulisse, guimbarde, flûte de pan, harmonicas et glass-harmonica : autant de sonorités suggestives délicatement intégrées à l’écriture-oiseau des instruments et nourrissant parfois un charivari des plus réjouissants. Le projet originel, différé pour cause de pandémie, prévoyait trois solistes soustraits au regard du public. Ils sont ce soir autour du chef, dont une trompette un rien vindicative dont les interventions ciblées ne laissent d’intriguer.

L’émotion s’accorde à la beauté du geste dans la Sequenza pour hautbois de Luciano Berio, un grand classique du répertoire du XXᵉ siècle. Il est joué par cœur et avec une remarquable acuité du son par Didier Pateau dont c’était la dernière prestation au côté de l’Ensemble Intercontemporain, après quelques quarante deux années de carrière au sein de la phalange!

Troisième création mondiale de la soirée, le concerto pour clarinette de l’Autrichien Beat Furrer met sur le devant de la scène Martin Adámek aux côtés d’un ensemble conséquent dont le spectre sonore déployé (avec ses deux contrebasses, contrebasson et tuba) impressionne. Fulgurante est la partie soliste dessinant des trajectoires virtuoses du grave à l’aigu où s’entend, comme chez Berio, une polyphonie virtuelle. La première partie est pratiquement sans répit pour la clarinette dont la sonorité, nous dit le compositeur, « est passée au crible de celle de l’ensemble » : une manière experte autant que saisissante de relier « verticalement » les deux instances. C’est la seconde partie, plus statique pour le soliste, qui en éclaire le processus. Dans cette page spectrale incandescente, les couleurs de l’ensemble diffractent celles, plus fragiles, de la clarinette, dans un contexte harmonique et un espace renouvelés : du feu et de la flamme dans le jeu du soliste comme celui des interprètes, galvanisé par le geste non moins ardent de Matthias Pintscher.

Crédits photographiques : © Ensemble Intercontemporain

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