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À fleur de lèvres avec Daniel D’Adamo

Daniel D'Adamo aime aller au plus près de la source sonore, si ténue soit-elle, pour porter son attention sur ces choses infimes et intimes que le micro va capter. Ce dernier est placé à hauteur des lèvres dans The Lips Cycle réunissant cinq pièces avec électronique courant sur huit années de création, de 2010 à 2017.

Lips, your lips, commande de l'INA-GRM en 2010, donne à entendre tout ce qui se produit dans la bouche et que modèlent les lèvres de la chanteuse , très aguerrie et présente sur tout le cycle, sans mettre en action ses cordes vocales : murmure, claquement de langue, sifflantes, respiration, etc. sont autant de manifestations bruitées que la partie électronique pré-enregistrée démultiplie et enrichit. On pense évidemment à Berio, à ses pièces électroacoustiques notamment (Visage, Thema – Omaggio a Joyce) auxquelles les mots anglais de D'Adamo semblent faire écho. Avec la flûte complice – Nicolas Vallette – et le jeu virtuose des lèvres de l'instrumentiste sur l'embouchure, Keep your furies ouvre l'espace de jeu et complexifie la polyphonie, le travail très fin de la partie électronique engendrant un univers foisonnant et constellatoire. Air lié ne convoque que la flûte et l'électronique, même si la partie enregistrée fait entendre la chanteuse : souffle, sons de la flûte colorés par le souffle, itérations, profils ondulatoires, granulations, variations de vitesse. La flûte est augmentée par l'électronique dans un espace traversé de fulgurances. Le texte de Gottfried W. Leibniz dicte la forme et tisse une dramaturgie dans Traum-Entelechiœ où les cordes (la harpe d'Élodie Reibaud et l'alto de ) forment avec la voix et la flûte alto une sorte de méta-instrument que modèle à son tour l'électronique.

L'instrument-voix impose son cheminement dans un espace mouvant, entre effluves lyriques, texte parlé et traitement du mot. Le rapport voix/texte – celui de la correspondance amoureuse entre Virginia Woolf et Vita Sackville-West – est le même dans Fall, love letters fragments qui referme le cycle en 2017. La dimension sémantique est souvent mise à distance mais les mots trouvent leur traduction expressive et sensuelle au sein d'un montage minutieux où strates vocales et instrumentales (la harpe et les ressorts multiples de son jeu) interagissent avec une partie électroacoustique très réactive et un traitement en temps réel sollicitant la réalisation experte de José-Miguel Fernandez. Trois courtes plages électroacoustiques assurant les transitions renforcent l'idée du cycle pensé, in fine, comme un continuum sonore.

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