- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Un concert d’Ernest Chausson par de grandes pointures italiennes

, et le quatuor à cordes Boito nous livrent une version analytiquement fouillée mais néanmoins très expressivement engagée du Concert opus 21 d'.

Contemporain à la fois de la Symphonie en si bémol et de l'unique opéra le Roi Arthus, le Concert opus 21 (1889-1891) d' connut une longue et difficile gestation. Par sa distribution originale (violon, piano et quatuor à cordes) l'œuvre tient à la fois de la musique de chambre et du concerto avec solistes tout en renouant avec l'esprit des « concerts » du Grand Siècle. Le génie de Chausson opère une parfaite synthèse entre le principe cyclique étendu à la grande forme en plusieurs mouvements, cher à César Franck (depuis son Quintette à clavier en fa mineur en particulier), et les textures harmoniques raffinées du Fauré médian. Le tout est auréolé d'un wagnérisme assumé par l'expansion des phrases infinies (le deuxième thème du Décidé initial), ou par le chromatisme omniprésent Grave.

Pour les interprètes, il s'agit de trouver au sein de cette partition inspirée, mais presque trop riche d'inspiration, le juste point d'équilibre entre la virtuosité enchanteresse du violon, l'imposante, voire envahissante partie de piano, et un quatuor à cordes à la fois médiateur et réplique musicale.

Cette nouvelle interprétation transalpine vraiment splendide y parvient avec une évidence rare. On ne peut que louer l'aération du jeu de , rendant ductile sa partie de clavier vraiment (très) chargée : le pianiste peut se montrer péremptoire quand il le faut – les accords initiaux, le très animé final – mais toujours la plasticité du discours demeure remarquable, avec ce subtil mélange d'éloquence et de pudeur. Même le trait chromatique inaugural du grave, parfois ailleurs si banalement expédié, est ici égrené et modelé avec une sensibilité douloureuse. Lui répond le violon enjôleur, solaire et fruité d'un généreusement lyrique et conquérant, assumant avec brio la difficile partie soliste (conçue pour Eugène Ysaÿe) même dans les traits les plus périlleux du final. Nous sommes aux antipodes de la vision anémiée d'une Isabelle Faust à la rigidité rédhibitoire avec Alexandre Melnikov, sur un Erard moribond, et le Quatuor Salagon (Harmonia Mundi). Le , constitué d'anciens étudiants du conservatoire de Parme, aux belles carrières au sein de divers orchestres italiens, se révèle idéal, alliant une savoureuse palette de nuances à un engagement très nuancé : de la confidence confite (délicieuse sicilienne, peut-être le sommet de ce disque, et grave) au tumulte le plus orageux du final, ces cordes se révèlent d'une cohérence musicale et instrumentale insigne.

Cette réalisation quasi idéale, mais éditée tardivement – elle fut enregistrée en 2014 – rejoint par sa flamme le haut du pavé d'une discographie relevée mais parfois introuvable. Outre l'historique version du duo Thibaud-Cortot et leurs amis (Warner), la version de Christian Ferras avec Pierre Barbizet et le Quatuor Parennin ne semble plus accessible qu'au sein des coffrets Warner consacrés aux solistes, celles des Musiciens réunis autour des Pasquier et de Jean-Claude Pennetier (Harmonia Mundi) ou de Philippe Graffin, Pascal Devoyon et le Quatuor Chilingirian (Hyperion) sont pour l'instant supprimées. Aussi, avec une plus grande adéquation stylistique, le présent enregistrement rejoint la déjà ancienne référence de Itzhak Perlman et Jorge Bolet en compagnie du Quatuor Juilliard (Sony), à l'approche plus standardisée. Seuls petits regrets : la brièveté spartiate de cette galette irisée (on aurait par exemple pu y ajouter la version alternative pour la même formation du Poème opus 25) et un texte de présentation uniquement disponible en langue anglaise.

En conclusion, une production remarquable à la fois par sa rigueur analytique, son effervescence lyrique et sa réalisation instrumentale de haute tenue.

(Visited 1 028 times, 1 visits today)