- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Don Giovanni à l’Opéra national de Grèce

Située dans les espaces communs d'un hôtel de luxe, l'intrigue de Don Giovanni devient une métaphore de la fugacité du cours de la vie. L'anonymité qui pourrait se dégager de ce spectacle est compensée par un nouveau regard sur le chef-d'œuvre de Mozart et Da Ponte.


Coproduit avec l'Opéra de Göteborg et l'Opéra royal du Danemark, ce spectacle donné par l'Opéra national de Grèce propose une lecture plutôt originale du chef-d'œuvre de Mozart et de Da Ponte. Le parti pris central de la mise en scène de consiste essentiellement à concentrer l'action de l'opéra sur trois étages d'un hôtel de luxe international. L'étage supérieur représente un couloir on ne peut plus impersonnel donnant sur quatre chambres et sur deux cages d'ascenseur ; le rez-de-chaussée affiche l'entrée du palace, le guichet de la réception, un bar et une porte d'ascenseur ; les caves, baignées dans la pénombre, donnent accès à la chambre froide dans laquelle on conserve à la fois des pièces de bétail et le corps du commandeur.

Les trois niveaux de spatialisation permettent d'observer les agissements de personnages, tantôt anonymes tantôt identifiables, surpris dans l'intimité de leur chambre. L'idée, assez astucieuse, permet de faire un sort au problème que constitue dans cet opéra l'invraisemblable enchainement des allées et venues des différents personnages. L'ascenseur devient, dans un tel contexte, un élément fondamental. Mais surtout, le concept fait du lieu impersonnel de l'hôtel, lequel pourrait se trouver dans n'importe quelle grande métropole, une métaphore du passage de la vie. Chaque arrivée coïncide ainsi avec la survenue de nouvelles perturbations, les départs marquant quant à eux à la fois le rétablissement d'un certain ordre, mais également l'acceptation de la confrontation du néant. L'hôtel symbolise ainsi le lieu de toutes les rencontres et de toutes les activités humaines (mariage, tourisme, voyage d'affaire), l'intrigue de Don Giovanni, ne servant finalement que de prétexte à cristalliser ces instants où l'humain ne fait que jouer avec les règles et les lois de sa propre mortalité.

L'ouverture de l'opéra montre le protagoniste endormi dans sa chambre d'hôtel, à l'issue d'une partie fine que l'on imagine torride. L'équipe de nettoyage, introduite par Leporello, tente vaille que vaille de rétablir en début de journée l'ordre et la paix que seule la mort parviendra, en fin d'ouvrage, à apporter. Le lendemain, une nouvelle journée commencera avec d'autres protagonistes. Le concept est parfois séduisant et il vaut ici et là quelques belles réussites, même s'il ne révolutionne pas en profondeur notre vision d'un ouvrage qui conserve ses mystères. La mise en scène, si elle tend à uniformiser les personnages – Anna, Elvira et Zerlina deviennent des figures quasiment interchangeables, sinon que l'une est rousse, l'autre brune et la dernière blonde –, remet clairement Giovanni au centre de l'ouvrage. C'est lui qui se paie le luxe de caresser Zerlina pendant que cette dernière chante « Vedrai, carino » pour son Masetto. L'ambiguïté de la relation avec Anna est assez bien suggérée, de même que la fixation œdipienne de cette dernière sur son père. Ottavio est aussi peu séduisant que possible.


Musicalement, la distribution réunie sur le plateau montre la solidité de l'école de chant grecque, même si stylistiquement on ne saurait dire si l'on est chez Mozart, Verdi ou Puccini. Anna Vassiliki Karayanni est ainsi une Donna Anna plutôt héroïque, et Chrissa Maliamani une Zerlina plus lyrique que les voix légères que l'on entend parfois. Seule Anna Stylianaki, en Donna Elvira, est affectée d'un vibrato excessif pour Mozart, ce qui explique peut-être le choix de la version de Prague qui la prive de son « Mi tradi » du deuxième acte. Chez les messieurs, malheureusement le ténor de Yannis Christopoulos, est privé lui aussi de « Dalla sua pace ». Belles prestations chez les clés de fa, avec la star internationale , particulièrement attendue dans son incarnation du rôle éponyme. Carnassier en diable dans « Finch'han dal vino », il sait trouver des accents caressants dans d'autres parties de son rôle, notamment au cours du « La ci darem la mano » ou de la sérénade du deuxième acte. Sous la direction de , l'Orchestre de l'Opéra national de Grèce donne une lecture propre et probe de la partition de Mozart. Une fois encore, le manque de public, notamment lors des passages comiques que la mise en scène ne manque pas d'exacerber, reste un phénomène quelque peu déroutant.

Crédit photographique : (photo 1) ; , et (photo 2) © Andreas Simopoulos

(Visited 508 times, 1 visits today)