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L’hispanisante bienvenue de Teo Gheorghiu

Duende, un mot d'origine espagnole qui, comme souvent dans d'autres langues, est intraduisible. Il pourrait être synonyme de lutin ou d'elfe, son acceptation littéraire est cependant beaucoup plus vaste et porteuse d'un esprit, d'une manière de ressenti, d'extase. C'est un sentiment d'intensité créatrice qui transcende son auteur au point de l'envelopper dans une transe, un envoûtement qui emporte irrésistiblement le spectateur dans ce monde artistique total et inspiré.

C'est ainsi qu'en titrant son album d'un terme ambigu et poétique, , pianiste suisse, se projette dans un récital de mélodies à caractère hispanisant dans lequel il se fond en symbiose totale avec les œuvres choisies pour ce disque. Si dès les premières notes, on a l'impression d'une succession de clichés musicaux semblants délibérément faciles, bientôt on se prend au jeu d'une perception plus attentive pour déceler toute la finesse interprétative du jeune artiste. Ce qui à première écoute passe pour un agréable moment de musiques hispanisantes se transforme bientôt à l'aune de climats embaumés de chaleur et de soleil.

Le toucher léger et aérien de ne l'empêche pas, pour autant d'employer la force sans aucune brutalité, portant son discours pianistique avec une grande palette de couleurs. Si, par excès de langueurs son interprétation de Quejas ó la Maja y el Ruiseñor tiré de Goyescas de Granados ressemble plus à une bluesette romantique américaine qu'à ce qu'on attend d'une composition hispanisante, dès les morceaux suivants, l'esprit catalan s'exhibe avec force et conviction. En particulier dans la Sevillana de la Suita Española d'Albéniz, il donne une belle facture de cette œuvre, réussissant à caractériser son jeu à tel point qu'on y entend la guitare espagnole et que l'envie de frapper des mains et de taper du pied est presque irrésistible. Dans La sérénade interrompue comme dans La puerta del vino tirés des 1er et 2ème Livres des Préludes de , le jeu de se fait plus charnu offrant une interprétation intensément colorée attirant l'oreille à chaque note. Avec Alorada del Gracioso de , le tempo choisi, sensiblement plus lent que la plupart de ses confrères, permet au musicien de découper cette œuvre au plus près de l'image qu'on peut se faire de l'aubade d'un bouffon (traduction littérale du titre de l'œuvre). Teo Gheorghiu revient ici dans l'esprit même du titre de son album.

Enregistré dans la fameuse acoustique de la Salle de Musique de La Chaux-de-Fonds, si l'instrument résonne à son meilleur, la maîtrise du volume et des couleurs en fonction de la générosité sonore du lieu incombe au soliste. Et de ce côté, il domine très bien son sujet. Sans doute, ce premier album sous son nom est une réussite.

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