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Staline-Chostakovitch : l’artiste face à la tyrannie

Ce concert spectacle « Staline/Chostakovitch » est à l'initiative du , un organisme fondé par le boulimique qui est aussi violoncelliste et pédagogue.

Et si « l'écran fera toujours écran » comme nous le dit ce dernier, le concert-installation capté sans public à la MC93 et mêlant musique et vidéo, est filmé à 360°, un ressort technique encore inédit dans la musique de chambre. Il permet au spectateur d'« arpenter » librement (avec sa souris) l'espace dans lequel se meuvent les artistes, en lui donnant l'illusion d'être parmi eux.

Le projet audiovisuel est une réflexion sur le thème de l'oppression et de la liberté de l'artiste au sein d'un régime totalitaire : celui de Staline auquel s'est affronté toute sa vie le compositeur russe Dmitri Chostakovitch qui a choisi de rester dans son pays d'origine. Tout à la fois adulé et soutenu par le régime soviétique, il est ensuite dénigré et rejeté : une première fois, lors de la création en 1936 de son opéra Lady Macbeth de Mtsenk déplait à Staline. En 1948, date charnière de sa carrière de compositeur, Chostakovitch est condamné pour « formalisme » et ne cessera de craindre pour sa vie, même après la mort de Staline en 1951.

C'est ce climat de peur et d'angoisse qui s'instaure sur le plateau où les images projetées sur les parois sont celles des combats, des ruines et des victimes de la Seconde Guerre mondiale. Des miroirs reflétant la silhouette des interprètes et des panneaux accueillant également la vidéo (Le cri Edvard Munch) sont déplacés, modelant un espace constamment mouvant et une atmosphère d'insécurité fort troublante. Le plateau éclairé aux néons est nu et froid, jonché de fils (ceux de la technique) avec un téléphone des années 40 posé à même le sol, celui que Chostakovitch décrocha un jour pour répondre à l'appel de Staline. La conversation est reproduite et les propos traduits en français.

Les musiciens vont jouer debout et par cœur, mobiles eux aussi dans cet espace d'inconfort qui fut certainement celui du compositeur. Les trois œuvres choisies se font écho et prennent un caractère autobiographique. Le Concerto n° 1 pour violoncelle (1959), dont on entend la cadence superbement jouée par au début du spectacle, fait entendre la signature DSCH (ré, mib, do, si) qui traverse les cinq mouvements du Quatuor n° 8 (1961) que l'on entendra pour finir. Quant au Trio avec piano n° 2 (1944) en quatre mouvements – Yedam Kim, piano, Shuichi Okada, violon et , violoncelle – il cite le thème juif traditionnel qui rejaillit dans ce même Quatuor n° 8, le plus célèbre du compositeur. Il est écrit en trois jours, pour commémorer la destruction de Dresde et dédié aux victimes du fascisme et de la guerre. Chostakovitch confie, dans sa correspondance, qu'il l'a aussi écrit pour lui-même.

Les musiciens, excellents et tous issus du , communiquent à la fois l'énergie et la profondeur qui habitent la partition, les trois mouvements centraux résonnant comme des flash-back sur une existence dévastée. En arrière plan, partageant l'espace avec les interprètes, trône le portrait traumatique du tyran.

Crédit photographique : © Chronos Production / CMCP

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