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Lorène de Ratuld éclaire l’œuvre pour piano de Jacques de la Presle

Après Alfred Bruneau et Florent Schmitt, c'est au tour de de paraitre à la lumière, avec une délicatesse très française sous les doigts de .

Jacques de Sauville de la Presle est encore peu connu des mélomanes français. Lire sa biographie donne le sentiment de trouver en lui un homme et un musicien parfaits. Modeste, cultivé, toujours joyeux et positif jusque dans les horreurs de Verdun en 14-18, plein de tendresse pour sa petite famille, dévoué dans ses activités de pédagogue et profondément respectueux de ses élèves. Ses qualités d'homme se retrouvent dans son écriture : raffinée mais sans affèterie, délicate sans mièvrerie, poétique et discrète, intense mais mesurée dans la joie comme dans la nostalgie. Contemporain d'André Caplet et de son ami Jacques Ibert, il faut lui redonner une place de choix dans cette musique française après Fauré et Debussy, sans doute un peu impressionniste, en tout cas dépouillée de tout sérialisme. Ce disque bienvenu du passionné , fondateur du label fait une œuvre utile. Certes, les mélodies de ce compositeur n'ont jamais été complètement abandonnées, ni par Camille Maurane, ni par Stéphanie d'Oustrac ou encore Cyrille Dubois. Et certaines œuvres pour piano de cet ancien inspecteur de l'instruction musicale étaient toujours utilisées dans les concours des conservatoires. Mais peu d'enregistrements étaient disponibles, et c'est donc avec joie qu'on accueille ce nouveau CD qui nous annonce « L'œuvre pour piano » et 15 de ses 80 mélodies. D'autant plus qu'une partie notable des pièces pour piano ici présentées semble n'avoir jamais été enregistrée.

Morceau de bravoure, le Thème et variations n'est pas qu'un exercice de virtuosité et de sophistication d'écriture. Il entraîne l'auditeur dans une carte du cœur et de l'esprit, décrivant avec subtilité un large éventail de sentiments et d'impressions. Mais le sommet de ce disque est certainement l'Album d'images, sorte de bestiaire dédicacé à ses enfants. Chaque animal, sous prétexte de croquis voire de Haiku, demande une caractérisation ou très sensible, ou carrément virtuose. La course menue de la souris qui s'échappe, le balancement dans l'air de l'araignée, mais aussi les accords titanesques de l'éléphant ne sont pas des pièces pour enfant débutants. L'éléphant, avec ses frottements atonaux et ses contrastes rythmiques évoquent Olivier Messiaen. Les deux compositeurs se connaissaient-ils ?

déploie sur son clavier un enchantement de petites merveilles. Si la pianiste réussit si bien ces lectures, c'est que son jeu présente les mêmes qualités intrinsèques que Presle lui-même : virtuosité, sensibilité, et discrétion. La façon dont les phrases développées par les deux mains s'enveloppent et s'enlacent dans la première Berceuse est simplement admirable. La deuxième berceuse est encore plus délicieuse de tendresse et de simplicité. Elle déploie dans Thème et variations une très belle palette d'expressivité, mais sans emphase ni exagération. Mais c'est dans Album d'images que cette ancienne élève de Brigitte Engerer dégage toute la finesse et toute la puissance de son interprétation, transformant aussi facilement son piano en épinette pour L'araignée, qu'en orgue pour L'éléphant.

La voix de est belle, bien tenue et bien guidée. Sa diction est très satisfaisante, mais il lui manque pour servir la mélodie un nuancier un peu plus subtil et surtout une capacité à jouer sur les couleurs de son timbre pour en restituer les irisations poétiques. Si la Lettre d'Henri Barbusse bénéficie d'une certaine distanciation, le Colloque sentimental de Verlaine parait bien scolaire. C'est dommage, car de la Presle propose pour ce poème une écriture lunaire et claire de toute beauté, à l'opposé des brumes de Debussy.

En complément de programme, propose La forêt de Jacques Ibert. La pièce est inédite, réellement belle, et valait la peine d'être enregistrée. Cependant, n'aurait-il pas été plus opportun de mettre sur ce disque les deux pièces manquantes pour piano de (mises à disposition sur le site de l'éditeur), puisqu'on annonce à l'acheteur « L'œuvre pour piano » de de la Presle, plutôt que ce morceau d'Ibert ? Ou bien, laisser cette Forêt, mais enlever une mélodie ? Malgré ces réserves, ce disque très intéressant, est de surcroit fort bien documenté et analysé.

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