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Mūza Rubackyté célèbre passionnément Godowsky et Szymanowski

Cet album de commémore le 150e anniversaire de la naissance de Godowsky. Il met aussi en miroir deux écritures, celles de Godowsky et de Szymanowski dont les esthétiques sont aussi proches… que les langages diffèrent !

L'hommage de la pianiste est d'autant plus touchant que Godowsky enseigna à Heinrich Neuhaus, au Conservatoire de Moscou, institution qui forma l'interprète de cet album. Au sein d'un catalogue de plus de 400 partitions, a choisi l'immense Sonate en en mi mineur. Une démarche d'autant plus méritoire que le compositeur est jugé parfois avec un certain dédain (au point d'ailleurs que bien des dictionnaires évitent scrupuleusement de le citer !) : trop de notes, trop d'arrangements comme ses Études de Chopin recomposées pour la main gauche et dont on s'interroge sur la finalité d'un tel masochisme technique et artistique.

Composée entre 1910 et 1911, la Sonate en cinq mouvements – immense vaisseau sonore d'une durée de près de 50 minutes ! – tient davantage de la “ballade-fleuve” que de la sonate romantique. Elle compile avec le plaisir évident du geste lyrique, les influences de Chopin, Liszt, Scriabine, Rachmaninov, Medtner… Leur legs se croise dans des valses de salon, des traits périlleux, des formules harmoniques complexes. Nous voici propulsés dans un fleuve dont il faut organiser le jeu des écluses, mesurer l'architecture des canaux et, en premier lieu, la dynamique des flux. Des merveilles de cette écriture seraient à signaler en nombre, comme par exemple, le doublement des voix mains gauche et droite dans la valse de l'Allegretto grazioso qui se transforme en un véritablement puzzle polyphonique. Ne pas être hors-sujet et ne pas lasser l'auditeur, voilà le vrai défi ! Peu d'interprètes ont obtenu le juste équilibre. Le finale représente à lui seul, une sorte de sonate-chaconne, hommage à Bach, prélude et fugue avançant tantôt dans la prière, tantôt dans la marche belliqueuse qui s'évanouit dans les derniers feux d'un soleil grisant. Godowsky se doutait certainement que son propre langage ne pourrait plus évoluer. Dans la discographie bien représentée de l'œuvre, (Dante) et plus encore (Hyperion) dominaient. Il faudra compter désormais avec la lecture de qui éclaire la sensibilité de cette musique dont elle révèle l'ineffable tendresse et nostalgie des dernières pages.

Chefs-d'œuvre – et on nous pardonnera de les placer plus haut encore que la Sonate de Godowsky – les Préludes de Szymanowski fascinent dès les premières mesures. La résolution des harmonies qui se laisse attendre et pourtant inexorablement tendue, doit jaillir jusqu'à exprimer la douleur. C'est précisément ce que l'on entend sous les doigts de Mūza Rubackyté dont le toucher fait littéralement trembler la table d'harmonie. Ici, Szymanowski est allé plus loin que bien des Scriabine de la première période parce qu'il n'est plus dans l'essai et déjà pleinement lui-même, imposant son temps et ses afflictions (“afflitto”, “disperato”), alors même que son piano appelle le soutien d'un orchestre imaginaire. Tout interprète ne peut faire semblant comme dans bien des pages de Liszt, au manteau sonore si protecteur : il faut accompagner soi-même le glas, le recueillement et l'ébullition. et dans une approche radicalement différente de Mūza Rubackyté, était la seule, en 1956, à exprimer, avec une telle détermination, la puissance de ces Préludes. La pianiste lituanienne la rejoint aujourd'hui.

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