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Le Chant de la Terre par Jean-Claude Casadesus et l’Orchestre national de Lille

Le label Evidence fête les 85 ans de avec ce Chant de la Terre de enregistré en 2008 au Festival de Saint-Denis. Un document d'archive pétri d'humanité qui prend aujourd'hui, dans les circonstances que l'on sait, une résonance singulière.

Composé dans une période de créativité difficile (après la crise de 1907 qui verra son départ de l'opéra de Vienne, la mort de sa fille aînée « Putzi », la découverte de sa cardiopathie), le Chant de la Terre livre un puissant message d'humanité et d'espoir par lequel le compositeur retrouve le chemin de lui-même en reprenant son inlassable quête de construction, un retour à l'unité dans la fusion du Lied et de la Symphonie, du microcosme et du macrocosme, qui seul permet l'acceptation sereine de la mort pressentie.

Conçu pour échapper à la malédiction des neuvièmes symphonies (Beethoven, Schubert, Bruckner), construit à partir de sept poèmes chinois du VIIᵉ au IXᵉ siècle de notre ère découverts dans le recueil « la Flûte Chinoise » de Hans Bethge, le Chant de la Terre est une véritable symphonie de lieder pour ténor, alto ou baryton et orchestre où Mahler évoque la condition humaine oscillant entre héroïsme et intimité : l'ivresse et le désespoir, la solitude et la nature, la jeunesse, la beauté, le printemps et enfin l'adieu à l'ami se terminant dans un murmure sur le mot « ewig » (éternellement) répété sept fois comme un rite sacré laissant entrevoir le passage de l'intime à l'universel.

Mahlérien reconnu, dirige pour l'occasion son orchestre lillois qu'il a créé et façonné au répertoire mahlérien durant de nombreuses années. Entouré de dans une tessiture naturelle et de (qui remplaçait ce jour-là Clifton Forbis, pourtant mentionné dans le livret), le chef nous donne à entendre un Chant de la Terre digne d'éloges et chargé d'émotion.

Dès l'Allegro introductif laissé au ténor, Das Trinklied vom Jammerder Erde, Jon Villards utilise avec intelligence ses relatives faiblesses vocales (aigus serrés et vibrato marqué) pour donner à son chant des effets très expressifs, ironiques et déchirants, tandis que Casadesus fait briller avec une grande clarté tous les timbres (bois stridents, cuivres cinglants) et contrechants de l'orchestre, dans un mouvement tout entier porté par une grande complicité entre le soliste et la phalange lilloise.

Le second mouvement, dévolue à la contralto, Der Einsame im Herbst, fait office de mouvement lent. Dans une lumière crépusculaire entretenue par bois et percussions, la voix corsée de s'élève telle une prophétie : l'ambitus est large, empreint d'une sérénité juste troublée par un vibrato bien contenu qui en renforce encore l'humanité fragile.

Les trois mouvements suivants, Von der Jugend, Von der Schönheit et Der Trunkene im Frühling, faisant intervenir successivement ténor et alto, peuvent être regroupés dans un Scherzo plus large, aux accents orientalisants où se déploie une véritable féerie de timbres diaphanes et acidulés faisant souvent contraste avec l'ampleur, la frénésie ou l'urgence du chant.

Le célèbre Abschied joue le rôle de Finale. Annoncé par le glas des contrebasses il marque le terme de la vie terrestre et le départ d'un long chemin très spiritualisé conduisant de la douleur de la séparation à l'espoir et à l'acceptation. s'y montre très convaincante dans le chant et la déclamation interprétant avec profondeur et émotion cette élégie où temps et musique se délitent en des sonorités éparses, étranges et éthérées avant que ne s'ouvrent les portes de l'éternité.

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