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Michael Tilson Thomas et Gil Shaham signent un disque Berg d’une rare beauté sonore

En trois partitions marquantes et représentatives de trois périodes créatrices successives d', dessine sa trajectoire d'un trait ferme : adieu au romantisme avec les Sept Lieder de jeunesse, modernisme dans la descendance de Mahler avec les Trois pièces pour orchestre opus 6, synthèse entre le dodécaphonisme et le lyrisme dans l'ultime Concerto à la mémoire d'un ange.

Ce somptueux programme regroupe trois partitions bien différentes qui illustrent la trajectoire créatrice de Berg. Les Sept Lieder de jeunesse ont été initialement écrits pour voix et piano entre 1905 et 1908 et orchestrés postérieurement en 1928. Le décalage entre la composition et l'orchestration leur confère une certaine étrangeté, accentuée par leur concision. Les plus classiques comme « Die Nachtigall » sonnent comme un adieu au romantisme du XIXᵉ siècle.

La soprano est impeccable mais c'est surtout la parure orchestrale d'un raffinement suprême de qui nous captive, alors que les versions historiques de Norman-Boulez ou Otter-Abbado envoûtaient aussi par la prestation de la chanteuse. Les Trois pièces de 1915 appartiennent déjà à un autre univers, sombre et complexe, qui prolonge la tension insoutenable des Sixième et Neuvième symphonies de Mahler que Berg admirait tant. Tilson Thomas adopte des tempos lents qui mettent en valeur l'extrême subtilité de l'orchestration et font ressortir, particulièrement dans la Marche finale, aussi développée à elle seule que les deux premiers mouvements ensemble, les influences de Mahler et même fugitivement du Strauss de Salomé.

Enfin le Concerto pour violon « à la mémoire d'un ange », écrit en 1935 pour saluer la mémoire de Manon Gropius, fille d'Alma Mahler décédée à dix-huit ans, est un chef d'œuvre de lyrisme et l'émotion qui transcende le choix de la technique dodécaphonique pourtant aride. Il bénéfice de la pureté et de la virtuosité de , impressionnant d'un bout à l'autre, entouré par l'orchestre transparent et limpide de Tilson Thomas, à nouveau dans des tempos d'une grande ampleur. Le résultat est d'une splendeur de timbres admirable et d'un lyrisme contenu remarquable mais n'atteint pas l'émotion bouleversante de l'enregistrement d'Isabelle Faust accompagnée par Claudio Abbado, à notre sens la plus accomplie des gravures récentes de cette partition.

Mais le propre d'un chef-d'œuvre est de supporter des interprétations bien différentes et la pure beauté sonore de cette nouvelle venue, supérieure encore à l'enregistrement précédent de Shaham avec David Robertson à Dresde, parachève un disque d'une grâce rare et épurée, même s'il s'adresse plus à l'esprit qu'aux sens.

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