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Passions napolitaines avec le jeune ténor Freddie De Tommaso

Nul doute que le récital du jeune ténor anglo-italien comblera les nostalgiques des années 50 et 60. Belle découverte vocale, mais dans un répertoire rabâché et galvaudé.

Le récital de chansons napolitaines est un grand classique des ténors confirmés, qui cherchent à élargir leur public en flirtant avec un genre musical également prisé des chanteurs de variété. Depuis Caruso, dédicataire de nombreux numéros figurant à ce programme, tous les grands gosiers des XXᵉ et XXIᵉ siècles se sont pliés à l'exercice. Il est donc plutôt surprenant que ce soit ce type de répertoire qu'ait choisi pour son premier album le jeune ténor , vainqueur en 2018 du concours Francesco Viñas de Barcelone.

S'il veut se faire un nom au firmament lyrique – ce à quoi ses superbes moyens vocaux semblent le destiner tout naturellement – notre jeune lauréat devra vite apprendre à s'affranchir des fantômes du passé. De fait, l'album de fait l'objet d'une double dédicace : la première à son père Franco décédé il y a une dizaine d'années, la deuxième à un autre Franco, le grand Corelli dont l'année 2021 marque le centenaire de la naissance. Le texte de présentation ne manque pas de rappeler qu'en 1921 naquirent également Mario Lanza et Giuseppe di Stefano, autres ténors indirectement honorés par ces choix de répertoire. De Tommaso irait presque jusqu'à reproduire le léger zozotement caractéristique des ténors issus du nord de l'Italie : « fre-ch-ca » pour « fresca », à l'instar de certains défauts qu'avaient Corelli mais aussi son concurrent Carlo Bergonzi.

L'hommage aux grands ténors du passé, Corelli en tête, est allé jusqu'à retrouver les orchestrations alors effectuées à leur intention dans les années 50 et 60. Il eût mieux valu, comme l'a fait récemment Juan Diego Flórez dans son dernier album Italia, opter pour des arrangements plus sobres, ce qui aurait épargné à l'auditeur ces redoutables dégoulinements de harpes, solos de violon, numéros de castagnettes ou autres interventions du bouzouki. Pour les mélodies intimistes de Tosti, compositeur qui gagnerait tellement à être débarrassé des excès de sentimentalité qui trop souvent marquent ses belles mélodies, le simple piano restera l'accompagnement idéal.

Le programme de De Tommaso reprend ainsi, sans grande originalité, nombreux des grands tubes composés au tournant du XXᵉ siècle. On se réjouit cependant d'entendre, dans une orchestration cette fois-ci sobre et mesurée, deux des mélodies de Puccini généralement jouées avec piano, « Sole e amore » et « Mentìa l'avviso ». Un regret ? Il aurait été intéressant de suivre le fil thématique de l'immigration italienne vers l'Angleterre. Avec tout ce que le XIXᵉ victorien a connu de musiciens italiens installés à Grande-Bretagne – Michael Costa, Luigi Arditi, , plus tard Julio Trapani dit Mantovani… – on aurait pu construire une programmation originale tout en incluant certaines des pépites de cet album. Le fil conducteur du programme aurait pu être de poursuive avec tous ces Italiens (, Salvatore Cardillo…) ayant ensuite cherché fortune aux États-Unis.

Ces réserves mises à part, on se réjouit évidemment de découvrir une formidable ténor lirico spinto à l'aube d'une belle carrière. Le jeune artiste au physique de rugbyman, et à la voix aux couleurs barytonales qui pourrait rappeler celle d'un tout jeune Domingo en début de carrière, semble avoir compris, à lire ses interviews, qu'il aura intérêt à se cantonner les premières années dans les emplois plus lyriques – Rigoletto, Traviata, Elisir d'amore – avant de se lancer dans les Tosca et autres Aida et Trovatore dont on lui parle déjà. Que ce Cassio, un des rares rôles déjà interprétés en scène par De Tommaso, soit un futur Otello, c'est presque une évidence. Espérons que le rendez-vous ne sera pas pris avant une quinzaine ou une vingtaine d'années. Il serait criminel de gâcher le soleil d'un si bel instrument.

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