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Le Viol de Lucrèce aux Bouffes du Nord

Premier spectacle de l'Opéra de Paris face à un public depuis octobre 2020, The Rape of Lucretia de Britten au Théâtre des Bouffes du Nord met en avant un ensemble de jeunes musiciens impatients de retrouver la scène. 


1946, le monde sort de la pire guerre de son histoire et , dont on a réussi à créer Peter Grimes l'année précédente, revient à l'opéra avec une œuvre chambriste, pour seulement treize instrumentistes et huit chanteurs, dont deux représentent à eux-seuls le chœur. Écrit sur un livret de Ronald Duncan, The Rape of Lucretia (Le Viol de Lucrèce) suit de treize ans une première adaptation due à Respighi de la pièce éponyme d'André Obey. Inspirée du poème de William Shakespeare, elle cherche avant tout à évoquer la terreur et l'angoisse créées par les hommes entre eux, plutôt qu'à développer une action dramatique complexe.

2021, le monde sort petit à petit d'une pandémie avec l'espoir que la maîtrise d'un virus par la technologie et les comportements permettra à la musique de réapparaître sans contrainte, et aux jeunes musiciens de développer leurs carrières. C'est cependant par coïncidences de calendrier que l'opéra de Britten rouvre le bal pour l'Opéra de Paris, et permet aux jeunes chanteurs, en majorité de l'Académie de Paris, ainsi qu'aux musiciens de l'Académie, de l' et de l'Orchestre-Atelier Ostinato, de réapparaître en scène. La production de dans les lumières de César Godefroy et les décors de Lisa Navarro n'évolue qu'autour d'un rideau bleu tressé, juste devant les musiciens, tous regroupés en fond de scène côté jardin devant le chef, sauf le piano placé à l'autre versant. Ce rideau sera abaissé à la manivelle avant la fin du premier acte pour créer le contexte du viol, dévoilé dès la première image par la parabole d'une robe blanche ensanglantée. L'hémoglobine se retrouve aussi dans le vin, bu par les militaires en treillis (costumes de Pauline Kieffer) dans des poches transparentes et jerricanes, puis par une pelote de laine rouge, que Lucrèce tresse avec prémonition et relents pénélopiens dans le rideau-toile abaissé lorsqu'elle évoque le retour de son mari. Ensuite, la scène crée peu d'idées fortes, même pour porter le climax du drame, pourtant exhibé au spectateur en pleine face , quand le livret le demande caché.


La pièce perd alors sur scène un mystère qu'elle ne trouve pas non plus par la musique, car si l'ensemble devant se montre bien ajusté, seule la harpe d'Odile Foulliaron en première partie parvient véritablement à soutenir ses grands moments. Ni le piano ensuite, ni surtout le cor anglais trop timoré en fin de second acte ne parviennent à déployer les trésors de la partition instrumentale, qui plus est affaiblie par son final peu utile au reste de l'œuvre. Le chant rattrape souvent, mais on sent chez cette jeunesse depuis longtemps contrainte un tempérament trop fougueux, à l'instar des hommes, qui dans cette première distribution, prévue pour seulement deux autres soirs, portent avec force et volume Tarquinius () et Junius (). Plus de couleurs et d'émotions apparaissent sous Collatinus grâce à la basse , et plus de mesure chez le Chœur Homme (). Les femmes apportent la douceur, à commencer par Lucretia, bien portée dans le registre bas par . Les tessitures hautes bénéficient de deux belles sopranos, dont une Lucia () parfois un peu trop aguicheuse mais très lyrique, présente pour les deux distributions, et un Chœur Femme () très bien équilibré sur tout le spectre.

Joué pour les professionnels le 14 mai, ce spectacle va sans doute gagner en finesse devant le public à partir du 19 mai, et mérite également d'être écouté avec la seconde distribution, sans doute tout aussi remplie de chanteurs très prometteurs.

Crédits photographiques : © Studio J'Adore Ce Que Vous Faites !

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