- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Eloge du cornet par Bruce Dickey : le souffle intemporel des anges

On dit que les anges n'ont pas de sexe. Ils n'ont pas d'âge non plus, même si c'est à l'époque baroque qu'ils sont venus par légions entières peupler les voûtes de nos églises, évoquant des concerts célestes. Dans cet enregistrement, ils servent de prétexte à un voyage à travers le temps de 1600 à nos jours, en compagnie d'un de leurs instruments de prédilection, le cornet.

Instrument des anges musiciens, le cornet à bouquin occupe une place de choix dans l'iconographie céleste ; il répond traditionnellement aux voix des chœurs angéliques. Le cornet, qui a connu son apothéose au XVIIᵉ siècle, présente une grande similitude de timbre et de qualité expressive avec la voix humaine, et dialogue ici avec la voix bien timbrée de la soprano tchèque . C'est le deuxième disque que consacre au mariage entre la voix de cette chanteuse et celle du cornet, après un CD intitulé Breathtaking en 2016. L'étymologie de « bouquin » vient de l'italien bocca (bouche), pour signifier qu'il s'agit d'un instrument à embouchure. Durant le seicento italien, qui constitue l'âge d'or du cornet, celui-ci a souvent un rôle interchangeable avec le violon. Mais le cornet pouvait aussi couramment remplacer une des parties vocales supérieures, et c'est de cette pratique que s'est largement inspiré dans l'élaboration de ce programme, qui balaye plus de cinq siècles de musique, de Palestrina à la création contemporaine. Pour ce disque, il a passé commande à deux compositeurs d'aujourd'hui, et . Il a aussi fait une incursion du côté d'Erik Satie dont la mélodie intitulée « Les anges », où le théorbe remplace le piano, est une autre façon d'évoquer ce thème intemporel.

La vocalité du cornet est particulièrement audible dans l'art de la diminution, ce qu'illustre à merveille dans ses propres variations sur un thème de Palestrina. Mais c'est aussi dans le dialogue avec la voix de la soprano que se manifeste cette parfaite osmose. Le programme donne également une place importante au violon, qui alterne avec le cornet dans le rôle de soliste et dans un même langage. Dans le répertoire italien plus tardif, les parties de cornet obligé atteignent une grande virtuosité dans les airs d'opéras de ou Alessandro Scarlatti. Les airs extraits de Il Comodo Antonino permettent à la voix de la chanteuse d'exprimer toute sa maîtrise du bel canto. Nombreux sont les compositeurs contemporains qui ont écrit pour le cornet, l'associant souvent à la voix, comme Bernard Foccroulle. Ici, une pièce d' (O Archangels and Angels) nous offre une vision moins éthérée des anges, celle de l'Église orthodoxe, où les créatures célestes se font presque inquiétantes. Mais c'est avec la pièce de (The vision of Archangels) que l'émotion atteint un sommet dans ce programme : sur un sobre accompagnement d'orgue, la voix est rejointe par le cornet, et les deux s'enlacent en une plainte poignante. Arrivent les cordes pour un épisode plus dramatique, après que les accords à la basse de viole ont évoqué la sonnerie du glas, et avant un retour à la douceur initiale. La voix de est d'une riche intensité tout au long de ce programme profondément poétique, et son timbre sensuel rend parfaitement les affinités amoureuses entre le cornet et la voix humaine. Un bel éloge de la voix des anges.

(Visited 279 times, 1 visits today)