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Les introspections de Yannick Nézet-Séguin au piano

présente son premier album solo en tant que pianiste, sorti pour le moment uniquement en numérique sous l'étiquette jaune de Deutsche Grammophon.

Contraint à s'éloigner de la scène en raison de la pandémie, le chef d'orchestre revient ici à son instrument d'enfance – le piano – encouragé, en plus, par le décès, à l'été 2020, de sa professeure Anisia Campos, à laquelle il rend hommage. Le programme de cet album est un mélange hétéroclite de morceaux de différents auteurs, englobant plus de deux heures de musique. S'agit-il des pages de prédilection de Nézet-Séguin ? Celui-ci passe du coq à l'âne, sans véritable clé thématique, touchant à diverses époques (du baroque au contemporain), abordant aussi bien des sonates entières que des pièces de caractère ou encore des extraits de compositions en plusieurs parties.

Passons sur ce drôle de menu et procédons à l'analyse de l'interprétation. Cette parution s'ouvre et se clôt sur des œuvres de Debussy. D'abord, La Cathédrale engloutie du premier livre des Préludes, baignée de brumes développées par l'usage de la pédale droite, assez statique du fait d'une progression lente du mouvement, et pourtant empreinte de la clarté des sopranos, s'opposant à des accents sombres dans le bas-médium. Nézet-Séguin fait ressortir les contrastes de couleurs, mais nous fait oublier la dimension horizontale de ce morceau.

Pareillement pour le Nocturne en sol mineur op. 37 n° 1 de Chopin, dont la lecture est curieusement dénuée de nuances dynamiques et de souplesse agogique, qui aurait laissé le phrasé respirer avec plus d'ampleur, comme dans le chant. Le « choral » de la partie médiane de cette plage se montre dépourvu de vitalité. Nézet-Séguin qui a régulièrement accompagné les meilleurs chanteurs dans les opéras en tant que chef, serait-il lui-même bloqué ici comme soliste ?

La Rhapsodie en sol mineur op. 79 n° 2 de Brahms permet à Nézet-Séguin de déployer ses ailes. Le piano chante, enfin, l'opulence du toucher fait penser à la sonorité d'un orchestre, le tempo relativement lent comme le ton grave évoquent le pathos qu'on perçoit si souvent dans les symphonies du maître de Hambourg. Cependant, de nouveau, le mouvement commence – avec le temps – à peser, sans énergie ni fraîcheur. Dans l'Intermezzo en si mineur op. 119 n° 1, Nézet-Séguin retient le caractère contemplatif de cette pièce, mais – encore une fois – ne parvient pas à varier l'agogique.

Si l'interprétation des œuvres de Bach et Chostakovitch révèle un formidable sens du contrepoint de l'interprète, elle apparaît fastidieuse et mécanique, ce dernier trait concernant notamment les passages soumis à un tempo rapide, comme la Fuga : Presto de la Toccata en ré mineur BWV 913.

Sous les doigts du pianiste, l'Impromptu en ut mineur D. 899 n° 1 de Schubert est à la fois sévère et éloquent, direct et simple, avec des graves charnus, qui sonnent comme des cloches. En revanche, si la poésie prime, le panache et le sérieux voire le tragique de cette composition disparaissent dans un mouvement conceptuel plutôt que spontané.

Pour les Haydn et Mozart, nous avons affaire à un jeu toujours assez peu raffiné en terme de nuances (en noir et blanc, sans teintes intermédiaires) et de l'agogique, par instants, lourdaud, tantôt ponctué par une finition des phrasés pointue (l'Adagio en si mineur K. 540), tantôt théâtral et discret (la Sonate n° 33 en ut mineur Hob. XVI:20, où – dans le finale – un peu plus d'humeur aurait été bienvenu).

Entre Mozart et Bach, Nézet-Séguin programme un morceau de son contemporain québécois , D'après Hopper, subjuguant par la profondeur du timbre, la limpidité de l'articulation et la suggestivité des contrastes dynamiques.

Entre Schubert et Haydn, nous avons Wasserklavier de Berio, dont l'exécution combine des ambiances méditatives et évocatrices, mettant en exergue la luminosité des sons élevés, leur beauté comme leur délicatesse éphémère.

Cette « introspection » proposée par nous fait nous interroger sur le sens d'une telle entreprise. Après l'écoute de cet album – seulement disponible en streaming et en téléchargement –, force est de constater que nous aurions préféré entendre le chef d'orchestre exclusivement dans le répertoire contemporain, dans des œuvres illustratives plutôt que narratives. Notons encore que cette parution sera suivie d'une édition vinyle uniquement, plus tard dans l'été.

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