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Andrés Cea ouvre le grand livre d’orgue de Joan Cabanilles à Marchena

Beaucoup plus connu par son nom que par son œuvre même, Cabanilles ce grand d'Espagne resté mystérieusement dans l'ombre, se révèle enfin grâce à une approche musicologique et vivante de l'organiste . Délaissant les quelques pièces habituellement jouées, il nous entraine dans tout un nouveau monde.

Depuis la découverte en France de l'orgue ibérique à la fin des années 60 grâce essentiellement à Francis Chapelet, trois compositeurs ont émergé dans une discographie de plus en plus étoffée : le Castillan Antonio de Cabezón, l'Andalou Francisco Correa de Arauxo et le Valencien . Ce dernier, exact contemporain de Dietrich Buxtehude et organiste à la cathédrale de Valence, est curieusement connu seulement par une poignée de pièces de caractère, toujours les mêmes… Cela est d'autant plus étonnant que Cabanilles a composé une œuvre d'orgue riche de 200 tientos et de plus de 1 000 versets. Ses manuscrits et premières éditions sont dispersés dans diverses bibliothèques espagnoles et cette partie émergée de l'iceberg a subi hélas au cours du temps de nombreuses transformations de textes et d'indications diverses qui ont gâté partiellement le discours initial du compositeur, au fil des modes. Beaucoup d'audaces stylistiques ou de saveurs particulières à cette musique ont été gommées peu à peu.

Le premier travail d' à propos de Cabanilles est avant tout d'ordre musicologique. Il s'en explique clairement dans son texte de présentation au travers de réflexions prêtes à éclairer l'auditeur. Il nous parle de la difficulté d'accès aux sources, de leur étude, de l'émergence d'un art d'exception dans cette Europe musicale du XVIIe siècle, la découverte d'une écriture au contrepoint savant, à la dissonance acérée et à l'imagination fertile. Son immense production se répartit en deux catégories, un peu comme chez Cabezón, avec d'un côté des pièces imitatives regroupées sous le terme générique de Tientos, Tocatas et Versos et de l'autre des œuvres bâties sur des suites de variations (diferencias) sous la forme de Passacalles, Paseos, Gallardas, Xacaras et Folias. Au sein de chaque groupe de pièces, propose une grande variété d'approches faisant de chacune une œuvre unique. Particulièrement, les Tientos partidos (avec une voix solo en basse ou en dessus) sont de toute beauté. Le Tiento du quatrième ton offre des joutes musicales exaltantes avec des doubles jeux de basse et de dessus solistes où les timbres particuliers de l'orgue espagnol s'épanouissent en un crescendo impressionnant, depuis le flamboyant cornet jusqu'aux dessus de chamade percutants.

Le programme du disque offre à l'auditeur une dizaine de pièces totalement inédites, ce qui augmente sensiblement l'intérêt de cette production, l'organiste remontant aux sources au travers des textes originaux. L'orgue de Marchena près de Séville, déjà utilisé lors d'un album précédent, se montre exemplaire pour traduire le discours de l'auteur valencien. Construit en 1765 par le facteur Chavarria, il est l'un des plus beaux témoins de l'art organistique andalou à l'époque baroque.

vit à Séville où il développe ses activités de musicien. Musicologue, il est l'auteur de diverses publications sur l'interprétation ancienne en rapport avec les instruments historiques espagnols. Outre ces qualités, il se montre une nouvelle fois un fin spécialiste dans l'interprétation de cette musique très typée. Disciple de Jean Boyer, Andrés Cea offre parmi les plus belles gravures dédiées à l'orgue ibérique, un sommet dans la compréhension des textes et dans l'émotion interprétative grâce à un savant toucher des claviers anciens et un sens développé de l'agogique. Sous ses doigts, la musique prend vie aussitôt et nous entraine dans des rêves au cœur de la vie musicale bouillonnante qui fut celle de . On espère pour l'avenir d'autres volumes de cet étonnant compositeur, explorant une mine qui semble inépuisable et d'une richesse incomparable.

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