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Les émouvants chants de la terre haïtienne de Célimène Daudet

D'ascendance haïtienne par sa mère, la pianiste exhume les trésors méconnus de trois compositeurs natifs de sa terre caribéenne. Superbe et émouvante découverte.

Il y a quatre ans, créait un festival de piano en Haïti, posant le premier acte d'un désir qui la taraudait, celui d'explorer son lien à sa terre maternelle, d'en apprendre davantage sur cette île montagneuse dont les peintures naïves et les saveurs exotiques lui parlent depuis l'enfance. La connaître de l'intérieur passait naturellement par sa musique. C'est à partir d'une partition d'un certain , offerte à Port-au-Prince, que la recherche a commencé. La curiosité aiguisée, elle se lance dans une quête qui la conduit jusqu'à Montréal et met au jour un trésor insoupçonné dont les joyaux sont des partitions non éditées, certaines en piteux état : « Haïti mon amour » rassemble ainsi des œuvres de , de et d'Edmond de Saintonge, compositeurs haïtiens nés à la fin du XIXᵉ siècle et formés au Conservatoire de Paris, dont les musiques mêlent intimement style romantique européen et mélodies et rythmes haïtiens.

Loin de toute mièvrerie et imagerie folklorique, édifiantes par le raffinement de leur écriture, elles sont les fruits d'une acculturation réussie qui rend hommage à l'identité haïtienne et à son histoire. présente une sélection plutôt que les cycles entiers, mixant les pièces des trois compositeurs. Lamothe doit certainement à ses Feuillets d'album d'avoir été surnommé le « Chopin noir » ! Le Feuillet d'album n° 1 entendu en ouverture, tout comme le n° 2 un peu plus loin, est d'une belle facture romantique et révèle une personnalité riche dont les subtilités n'échappent pas à la musicienne. Nous voici pris dès les premières harmonies dans leur climat poétique : le sentiment nostalgique du premier, la tendresse et le charme du second qui a les contours d'une romance sans paroles. Et comment ne pas être touchés par les Chants de la montagne d'Élie, tout en profondeur, en intériorité, dont la mélancolique rêverie semble chanter, sous les doigts de la pianiste, l'âme de la terre haïtienne, enveloppée d'une délicate pudeur ! 

Autre versant : la danse et son rythme typique, celui à cinq temps de la Méringue. Lamothe avec ses Danzas, Élie avec ses Méringues populaires et Saintonge avec son Élégie-méringue la transposent au piano. Le jeu de Célimène Daudet épouse, avec justesse, sensualité et une élégante séduction, leur rythme chaloupé, leur allure prélassée, leur bercement langoureux, comme il sait les ensoleiller (Danza n° 1 « Habanera »), ou se faire emphatique et intense (Méringue populaire haïtienne n°4) ou encore, frisant la transe, brûler d'énergie, habité par l'esprit vaudou (Loco). Enfin, dernière touche au tableau, Printemps, un des Chants polonais op.74 de transcrit par Liszt, vient en écho parler avec une simplicité touchante d'un autre amour, d'une autre terre…

Célimène Daudet nous avait conquis avec ses deux derniers disques, l'un consacré à Debussy et Messiaen, l'autre à Liszt et Scriabine. Cette fois c'est avec une affaire de cœur que son talent mâtiné de sincérité et d'inspiration vient s'exprimer et nous émouvoir.

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