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À Berne, admirable Jenůfa de Leoš Janáček

En raison de la crise sanitaire, la première de Jenůfa de prévue à mi-janvier n'a pu prendre place qu'au début du mois de juin et ce devant un public réduit à une centaine de personnes. S'il faut louer la détermination de la direction du MusikTheater de Berne qui, quoi qu'il en coûte, présente le travail de ses artistes, il aurait certainement été dommage de renoncer à une prestation dominée par la mezzo .

Un grand châle aux couleurs incertaines et fades, c'est l'objet central du drame de ce Jenůfa de , ultime production de cette saison tronquée de l'Opéra de Berne. Ce grand châle qu'on découvre sur les épaules de Kostelnička, la sacristaine, servira bientôt de couche pour emmailloter le bébé caché de Jenůfa. Puis, après avoir été le linceul de l'enfant, il deviendra la preuve confondante de l'infanticide. Dès lors, abandonné par la meurtrière, le châle maudit réapparaîtra, revêtant Jenůfa, lorsque le temps aura fait son travail de pardon. La metteure en scène sert admirablement cette œuvre, complexe et statique. Elle aurait même pu se borner à pointer l'éclairage sur ce châle qu'on aurait tout compris de sa sensibilité au drame de l'opéra de Janáček. Point n'aurait été besoin de ces scènes parasites se déroulant en fond de scène, de ces gens sortant par une fenêtre, une chaise en main, pour s'asseoir, immobiles spectateurs, et bientôt s'estomper par où ils étaient apparus. Quelle nécessité à ces arrêts sur image, à ces masques, l'essentiel étant largement explicité sur le devant de la scène ? Le décor minimaliste de trois marches occupant toute la largeur de la scène montant vers un plateau, meublé d'une table et de quelques chaises, se prolonge vers un mur blanc percé d'une porte et d'une fenêtre, s'avère suffisamment efficace pour situer les ambiances de ce drame familial.

Nous l'avons dit, l'intrigue de cet opéra se déroule dans un milieu restreint et confine à une staticité lourde et pesante. L'intrigue minimaliste aurait pu conduire le spectateur à l'ennui sans la formidable prestation vocale et scénique de la mezzo (Kostelnička, la sacristaine). Empoignant son rôle à bras le corps, la mezzo suisse brûle les planches du théâtre dès son entrée en scène. Quelle vitalité, quelle fougue, quelle présence ! L'œuvre de n'est pas faite pour le beau chant. Elle demande une théâtralité rugueuse que embrasse avec une force de conviction dévastatrice. Terrifiante, elle signe, une fois de plus une prestation renversante. La projection vocale, l'engagement théâtral sont tels qu'on se dit qu'elle n'arrivera pas au bout de son combat. Mais, jusqu'à l'ultime note, dans la même énergie avec laquelle elle a débuté la soirée, elle sera là, défiant tout ce qui l'entoure pour terminer ce qu'on pourrait qualifier de rôle de sa vie.

Entraînés par l'exaltation de leur collègue, les autres protagonistes s'investissent avec bravoure dans cette déferlante. Ainsi la soprano Johanni van Oostrum (Jenůfa) ne démérite aucunement en imprimant à son personnage, la retenue, la gène de cacher sa grossesse au qu'en-dira-t-on des gens du village. Son chant clair fait merveille, contrastant intelligemment avec la hargne protectrice de la sacristaine.

Comme galvanisés par l'engagement de ces deux artistes, les autres interprètes s'engagent de manière impressionnante pour répondre à la fougue dévastatrice qui règne sur la scène. A l'image des ténors (Steva) et (Laca), demi-frères tous deux amoureux de Jenůfa s'invectivant avec une verve vocale sans retenue. Leurs voix éclatent rêches, violentes, projetées jusqu'à l'excès. Puis, pris par la compassion pour le malheur de Jenůfa, (Laca) sait admirablement modérer sa vocalité pour incarner la bonté qu'il veut dédier à son amour. Les contrastes sont saisissants dans les méandres d'une musique descriptive. On note la douceur vocale de la soprano (Karolka), comme la présence d'une ancienne star de la scène bernoise la soprano Ursula Füri-Bernhard (la vieille Buryja) qui débuta dans ce théâtre en 1995 !

Dans la fosse, l'orchestre réduit à une petite quinzaine de musiciens du Berner Symphonieorchester fait merveille. Comme lors des dernières productions « covidiennes », on s'enthousiasme de la qualité de l'interprétation que ce petit ensemble est capable d'insuffler aux ambiances tragiques ou lyriques contenues dans cet opéra. Sans contredit, la réussite musicale de cette production le doit à la belle et sensible direction d'orchestre du chef .

Crédit photographique : © Florian Spring

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