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Le délicieux préromantisme mozartien d’Andsnes

Ce « Mozart Momentum » s’inscrit dans le prolongement des « Journey » que le pianiste norvégien et l’orchestre proposèrent, il y a quelques années, avec les concertos de Beethoven. Le nouveau voyage musical est consacré à quelques chefs-d’œuvre de l’année 1785 du compositeur viennois. Une réussite et l’annonce, déjà, d’un nouveau volume… « 1786 » !

Les trois concertos pour piano sont, d’emblée, placés dans un univers pré-beethovénien grâce à la densité et la rugosité des timbres fruités. Chaque entrée des premiers mouvements est engagée, “batailleuse”, reposant sur des basses charnues. Bien que l’orchestre sur instruments pour la plupart modernes corresponde aux canons esthétiques actuels, il n’a rien d’un ensemble “emperruqué” ! En effet, Andsnes demeure dans les limites somptueuses du classicisme germanique. La volonté chambriste du soliste qui dirige du clavier impose une maîtrise absolue des contrastes dynamiques et des phrasés. De fait, il ne se prive pas de suggérer à quel point certaines pages sont en avance sur leur temps. C’est le cas du mouvement lent du Concerto n° 20 déjà pré-schubertien et de la Romance, page “innocente” et pourtant si chargée d’émotions.

Cette grandeur assumée est tout aussi perceptible dans le Concerto n° 21 bien que l’orchestre possède une instrumentation relativement modeste. Le piano y est à la fois lumineux et serein. On s’interroge : s’agit-il d’une symphonie avec piano “obligé” ou bien réellement d’un concerto ? L’andante comme murmuré par les violons con sordino, retrouve avec bonheur l’esprit de l’improvisation et la définition de couleurs crépusculaires. L’auditeur est placé dans un écrin sonore des plus agréables. On apprécie le choix des cadences : celle de Geza Anda pour le premier mouvement et de Dinu Lipatti dans le finale.

Andsnes dirige le début du Concerto n° 22 comme s’il s’agissait d’une symphonie. À l’époque de la composition des Noces de Figaro, le piano possède une impressionnante projection sonore. Il fusionne avec les timbres des bois. L’andante est digne du recueillement d’une messe préromantique alors que, paradoxalement, les cordes résonnent dans un style classique sinon encore baroque. Au cœur de l’orchestre, le piano joue dans le souffle des autres pupitres, offrant, dans le mouvement lent, le plaisir d’une sérénade digne d’un kiosque à musique. Le style est pur et décanté, sans arrière-pensées, à l’image de la cadence de Géza Anda, qui a été choisie pour le finale.

Inséré entre les concertos, la Fantaisie en ut mineur, page ici plus schubertienne que beethovénienne apparaît prophétique. Le toucher du pianiste en traduit la puissance dramatique, mettant à nu ses audaces harmoniques. Le Quatuor pour piano en sol mineur amplifie les tensions tragiques admirablement servies par une prise de son équilibrée. Le piano nimbé et les cordes scintillantes valorisent une unité de pensée sans perte de substance. Nous sommes dans un salon viennois et l’art du divertissement y est sublimé. Enfin, le caractère grandiose et solennel de la Musique funèbre maçonnique joue à la fois d’un hommage aux chorals de Bach, mais aussi à l’esprit de la marche, si cher à l’adagio assai de la Symphonie “Héroïque” de Beethoven. Une belle réussite.

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