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Patricia Arauzo explore l’univers musical de Karol Szymanowski

Pour ses débuts discographiques, la jeune artiste castillane offre un regard saisissant sur l'œuvre pour piano de .

Professeure de piano au Conservatoire supérieur de Séville, s'est elle-même perfectionnée à Salamanque avec Patrín García Barredo, Claudio Martínez Mehner et Kennedy Moretti, ainsi qu'à Budapest avec András Kemenes. Passionnée de musique de chambre, elle fait partie du Trío Alborada et forme un duo avec le violoniste Alejandro Bustamante.

Le répertoire proposé ici se veut une synthèse de l'œuvre pour piano de , englobant des pages des trois périodes créatrices de son existence : le post-romantisme des années de sa jeunesse (Variations en si bémol mineur op. 3), la recherche de son propre langage musical accompagnée par l'attirance pour l'Orient et l'Antiquité dans les années 1914-1917 (Masques op. 34) et, finalement, l'orientation des sources d'inspiration vers le folklore populaire polonais à partir de 1919 (Mazurkas).

L'album s'ouvre sur les Masques op. 34, trois pages à programme écrites en 1915-1916, au temps où Szymanowski entra en contact avec des figures comme Claude Debussy, Maurice Ravel et Igor Stravinsky. Szymanowski lui-même décrivit le style des Masques comme « quasi-parodique ». L'adverbe « quasi » est le mot-clé, mais la parodie – ou plutôt l'ironie –, se teinte d'agitation voire même de tragédie. Sous les doigts de , Schéhérazade est donnée avec une clarté remarquable des textures (denses, à première vue alambiquées et illisibles). La pianiste joue sur le mystère et la poésie, en augmentant la tension des climax par des sons tonitruants dans la main gauche comme par des crescendos dûment dosés et soulignés sans être exagérés. Dans Tantris le bouffon (Tantris – l'anagramme de Tristan – est un Tristan déguisé, tentant d'entrer dans le château sous un masque pour rencontrer sa bien-aimée Isolde), elle fait ressortir le sarcasme contenu dans cette scène par sa précision rythmique et articulatoire. Dans Sérénade de Don Juan, elle oscille entre la profondeur des basses et la chaleur des aigus, retenant de cette partition une forte dramaturgie et de nombreux contrastes, tout autant que des mélodies chantantes et lyriques.

Concernant les Mazurkas, Patricia Arauzo en a choisi pour ce programme une douzaine sur vingt de l'opus 50 et les deux miniatures constituant l'opus 62. Sa prestation met en valeur le caractère improvisé de ces œuvres, suivant leur rythme irrégulier à trois temps. S'y reflètent des couleurs vives et scintillantes, le piano semble exprimer les états d'âme du compositeur – ses plaisirs momentanés, ses espoirs, mais aussi ses tourments. La mélancolie traverse notamment l'opus 62. Quel souffle aérien dans la dimension horizontale de cette narration, nous emportant dans un univers intimiste, empreint également d'angoisse dans la Mazurka n° 2. Si la diversité d'ambiances est bien présente, nous sommes pourtant confrontés à une certaine froideur émotionnelle de la part de la soliste, dont le jeu paraît un brin trop réservé, probablement en raison du côté introverti de ces plages.

Dans la Valse romantique, Patricia Arauzo séduit par l'ampleur du son et l'élan du geste, bien que, dans son jeu, on eût souhaité percevoir moins d'immédiateté rhétorique et surtout plus de fluidité du mouvement et de nuances intermédiaires entre le piano et le forte.

Le disque se clôt sur les Variations en si bémol mineur op. 3, une œuvre si exigeante techniquement que son exécution a été refusée par Arthur Rubinstein qui en est le dédicataire. Dans son interprétation, Patricia Arauzo retient les contrastes de tempo et de dynamiques qui marquent ces pages, n'oubliant pas de mettre en exergue le panache de quelques-unes d'entre elles ou la beauté des cantilènes. Grâce à la tranquillité de respiration dans les passages soumis à un tempo lent, ceux qui se caractérisent par leur rapidité gagnent davantage en énergie comme en intensité. Dans la dernière variation, par contre, la transparence des plans sonores se dissipe par instants dans l'abondance de notes, le discours manque ainsi de légèreté et le mouvement ralentit sans aucune justification logique à cause de l'énorme difficulté que pose cette partition. Ce n'est pas très grave car malgré ces réserves, avec cet album, Patricia Arauzo nous apporte un regard saisissant sur l'œuvre de .

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