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La fantastique dynastie des Cavaillé-Coll, facteurs d’orgues

La famille Cavaillé devenue Cavaillé-Coll au début du XIXᵉ siècle, a profondément marqué le monde de la facture d'orgue pendant plus de deux siècles. Durant cinq générations, ces maîtres artisans se sont succédés, épousant au fur et à mesure l'évolution des goûts et des courants musicaux. Un génie allait émerger de cette dynastie : .

Orgue de Saint Guilhem

Le berceau familial, quelques éléments généalogiques initiaux

Gaillac est une bourgade du Tarn, traversée par la rivière qui a donné son nom à ce département du sud-ouest. C'est un lieu millénaire qui a prospéré grâce à l'agriculture et au commerce et à la renommée de ses vins. Au XVIIᵉ siècle, l'ancêtre est tisserand. Il a quatre enfants dont , jacobin à Toulouse et facteur d'orgue, élève du célèbre facteur Isnard. Un autre fils Gabriel (1669-1745) tisserand, a un fils , né en 1743. Ce dernier est élevé par ses oncles religieux. Il devient le premier facteur important de la dynastie construisant des orgues dès 1760 à Perpignan, puis passant en Espagne à partir de 1765 (Barcelone). Il épouse une Catalane en 1765, Marie-Françoise Coll, puis s'installe à Toulouse en 1770 et ensuite à Montréal d'Aude. Il épouse en secondes noces Marguerite Fabry en 1781, travaillant à Montpellier et à Carcassonne. Il retourne en Catalogne et meurt à Llança en 1809.

L'œuvre de

Il reste encore de nos jours dans le sud de la France et en Catalogne de nombreux éléments significatifs, témoins de l'art supérieur de facteur d'orgue de Jean-Pierre Cavaillé. On conserve essentiellement deux instruments quasi intacts depuis leur construction : Saint-Guilhem le Désert (1782) et Torroja del Priorat (1799). Il faut aussi remarquer l'orgue de Vinça (Pyrénées-orientales) qui fût son premier instrument, daté de 1765, et bien que transformé à l'époque romantique a été reconstitué en 1986 par Gerhard Grenzing. A côté de ces instruments complets, on peut trouver la présence de nombreuses parties restantes dans divers instruments du sud de la France à Gaillac, Carcassonne, Montréal d'Aude, Castelnaudary, Montpellier, Perpignan…

La Catalogne a été dévastée lors de la guerre d'Espagne en 1936. La plupart des orgues ont été détruits dont plusieurs instruments de Jean-Pierre Cavaillé à Vic, Tortosa, Barcelone (Églises Saint-Catherine et de la Mercé). Seul Torroja, par sa situation reculée dans l'arrière pays, fut épargné. Jean-Pierre Cavaillé avait reçu les conseils éclairés du grand constructeur François Dom Bédos de Celles, auteur du traité « L'art du Facteur d'orgue », et côtoyé deux collègues de grand importance : et , eux-mêmes auteurs d'instruments prestigieux dans le sud de la France. Par son mariage avec une Catalane, son fils Dominique porta désormais le nom de Cavaillé-Coll, réunissant ainsi le nom du père et de la mère comme il est en usage en Espagne. Deux autres garçons, Auguste et Martin pratiquèrent également la facture d'orgue.

(1771-1862)

Dominique-Hyacinthe est né à Toulouse en avril 1771. Il apprend son métier de facteur auprès de son père et travaille déjà à l'orgue de Montréal dès 1785. En 1788, fuyant les premiers remous de la Révolution, la famille s'installe à Barcelone où Dominique travaille avec son père sur plusieurs instruments dont celui de Castello d'Empuries. Il rentre en France en 1807, suite aux événements troublés de l'ère napoléonienne avec l'Espagne. En 1808, il fait des travaux de rénovation sur l'orgue de l'église Saint-Paul à Beaucaire (Gard). Il s'installe à Montpellier où il devient officier de l'armée. Il rencontre Jeanne Autard, dont il a un premier fils Vincent en 1808 suivi d'Aristide en 1811.

Dominique entretient et construit plusieurs instruments dans la région de Montpellier avant de s'installer à Toulouse. L'un de ses plus célèbres constructions est l'orgue de la collégiale de Saint-Gaudens (Haute-Garonne). Cet orgue est parvenu jusqu'à nous sans modifications majeures et demeure un témoin précieux de l'art de cet artisan facteur, qui montre combien il reste fidèle à la facture classique liée au XVIIIᵉ siècle, conservant les mêmes qualités et la même perfection.

Il forme ses deux fils à son métier et commence à travailler étroitement avec son cadet Aristide en s'installant à Paris dès 1833, sur une suggestion de Giacomo Rossini. En 1840, ils obtiennent la commande du nouvel orgue de la basilique de Saint-Denis près de Paris. La collaboration entre Dominique et Aristide se poursuivit une vingtaine d'années. Des traces bien visibles de cette association demeurent encore sur les plaques d'adresse installées sur les consoles des orgues dont on peut lire : « Cavaillé-Coll père et fils, facteurs d'orgue du Roi », période du règne de Louis-Philippe. De cette époque florissante naitront quelques chefs-d'œuvre : Saint-Denis, Nîmes (St-Paul), Paris (Notre-Dame de Lorette, la Madeleine). Aristide doit au savoir précieux et avisé de son père hélas souvent minimisé, le succès fulgurant qui fut le sien en début de carrière. Dominique meurt à Paris en 1862.

(1808-1886)

Frère aîné de Dominique, Vincent Cavaillé-Coll est le premier représentant de la quatrième génération de facteurs d'orgue de la famille Cavaillé. Né à Montpellier, il suit déjà enfant son père sur divers chantiers à proximité. Il s'installe à Toulouse en 1827, puis à Paris en 1833, rejoignant le jeune Aristide. Personnage assez fantasque, parfois imprévisible, il est une préoccupation quasi permanente dans la conduite des affaires de la société en nom collectif formée entre les parents et les deux frères. Il vivra dans l'ombre de son frère cadet, ce dernier ayant pris soin de le tenir à distance par rapport à ses propres affaires. Installé à Nîmes (Gard), Vincent construisit plusieurs orgues dont certains sont encore dans leur état quasiment d'origine : La Grand'Combe (Gard), Avignon (Saint-Symphorien), Alès (Cathédrale Orgue de chœur), Montpellier (Saint-Matthieu). Le matériau était souvent directement procuré auprès des ateliers d'Aristide, gage d'une qualité supérieure, Vincent faisant preuve par ailleurs de grandes qualités d'harmoniste, indispensables pour la beauté sonore des instruments.

Pour autant, Vincent n'obtint pas le succès de son frère qui ne le ménageait guère, comme le montre par exemple cet extrait de lettre signée Aristide et datée de 1864 : « Si tu me permets de te donner un conseil, c'est d'aviser à te tirer d'affaire avec les entretiens, les relevages et les petites réparations, ne mets jamais la main à un travail de quelque importance. Tu ne t'en sortirais pas. Je te connais mieux que toi-même et je sais que tu as la main malheureuse dans la conception et dans la direction des travaux auxquels tu n'as jamais réfléchi, persuadé que tu es que tout pousse tout naturellement dans la nature, sans conception et sans langage ». Un autre témoignage, guère plus élogieux est celui de Charles Mutin, successeur de la maison Cavaillé-Coll : « Je me souviens de Vincent Cavaillé. C'est à une discussion formidable que nous avons eue ensemble, que je dois d'être parti pendant quelques années de la Maison Cavaillé-Coll et d'y rentrer comme patron. C'était un très estimable Monsieur qui avait, non un poil, mais une brosse dans la main ». Les instruments de Vincent, beaucoup moins nombreux que ceux d'Aristide, restent cependant de rares témoins de l'art romantique français, de nos jours encore très appréciés des organistes et de leur public.

(1811-1899)

nait le 4 févier 1811 dans une coquette maison de la rue de la verrerie basse à Montpellier près du fameux plan de l'olivier. Grâce à un agréable jardin, la bâtisse communique aussi à l'arrière dans la rue des Écoles pies. On imagine la vie du petit garçon avec son frère aîné Vincent, suivant dès son plus jeune âge les pas de son père Dominique s'occupant de l'orgue de la cathédrale de Montpellier. Il se souvint plus tard de la perfection de cet orgue de au point d'en refuser la reconstruction lors de l'agrandissement de la cathédrale. On remarque une vie d'enfance assez semblable à celle d'une autre montpelliéraine illustre, (1921-1968), qui passa également son début de vie à découvrir dans cette ville ce monde lié à l'orgue, avant de magnifier plus tard à Paris les instruments de Cavaillé-Coll. La famille quitte Montpellier quelques années plus tard pour Toulouse. En 1830, Aristide, aidé de son père et de son frère, invente un nouvel instrument à claviers dont le son est généré par des anches libres (principe même de l'harmonium). Cette nouveauté attire l'attention de Giacomo Rossini lors de la représentation de l'opéra de Giacomo Meyerbeer Robert le Diable qu'il dirigeait à Toulouse. Il conseille au jeune Aristide de s'installer à Paris en lui promettant de l'aider à se faire connaitre dans le milieu musical. En 1833, il installe ses ateliers avenue du Maine à Paris. Il aura quatre autres ateliers disséminés sur Paris.


Quelques années plus tard, après avoir déjà construit quelques orgues relativement modestes, il remporte le concours pour la construction du nouvel orgue de l'abbaye royale de Saint-Denis, épaulé par Lesueur, Boieldieu et Cherubini. Il s'agit d'un grand orgue monumental de 32 pieds de facture nouvelle. Grâce à l'aide et l'invention d'une machine pneumatique du facteur anglais , Aristide parvient à faire fonctionner cet instrument gigantesque, basé encore sur les principes de l'orgue classique français issu de Dom Bédos et enrichi d'idées nouvelles propres à mieux traduire la musique du temps : boite expressive, pressions multiples, première conception d'un orgue de « Tutti », où tous les jeux pouvaient être rassemblés. A partir de là, sa carrière est lancée et sa célébrité devient mondiale. Il réalise et restaure plus de 500 instruments sur les cinq continents. C'est un cas unique dans l'histoire de la facture d'orgue. On compte pas moins d'une cinquantaine d'orgues à Paris, environ 300 en province, quelques exemplaires miraculeusement conservés au pays basque espagnol et tous ceux répertoriés à l'étranger, en Europe, aux Amériques, et en Extrême-Orient. Ces instruments, issus d'une véritable industrie organisée, sont de toute première qualité tant sur le plan des matériaux que de la conception sonore, surpassant ses concurrents par un savoir faire inégalé. Aristide Cavaillé-Coll a su s'entourer de collaborateurs exceptionnels dont plusieurs harmonistes de renom : le plus célèbre fut (1837-1897) originaire d'Alsace, à qui il confie ses orgues les plus prestigieux (Lyon, Caen, Rouen, Toulouse). Certains de ces chefs-d'œuvre sont encore pieusement conservés et protégés. On pense à l'orgue monumental de l'église Saint-Sulpice à Paris ou à celui de l'abbaye Saint-Ouen de Rouen qui attestent de ces géniales productions.

Au travers de tous ces instruments, une musique est née grâce à de grands compositeurs dont le premier fut , organiste du Cavaillé-Coll de l'église Sainte-Clotilde à Paris construit en 1859. Franck composa son œuvre pour cet orgue ainsi qu'un autre édifié dans la grande salle du Trocadéro en 1878. Aristide Cavaillé-Coll avait aussi reconstruit en 1867 l'orgue de Notre-Dame de Paris qui inspira par la suite toute l'œuvre d'orgue de Louis Vierne, de même que Charles Marie Widor et Marcel Dupré à Saint-Sulpice. Il est à noter que tout au long de sa carrière qui dura plus de 60 ans, Aristide Cavaillé-Coll n'eut de cesse d'améliorer constamment ses instruments par de nombreuses expériences et essais en tous genres, abandonnant parfois certains au profit d'autres, plus performants. Ses études de mathématiques l'aidèrent dans ces nombreuses recherches et inventions. On lui doit même la mise au point de la scie circulaire, bien utile dans ce métier où le travail du bois est fondamental. Malgré son immense célébrité, il connut de nombreuses difficultés financières, liées notamment à la guerre de 1870 et obligé d'hypothéquer sa manufacture de l'avenue du Maine. En 1892 il cèda son entreprise à Charles Mutin (1861-1931).

Aristide Cavaillé-Coll meurt le 13 octobre 1899 à Paris à l'âge de 88 ans. Il est inhumé au cimetière Montparnasse. Charles Mutin qui avait repris la manufacture d'orgues en 1898 est chargé de rendre hommage à son maître lors des funérailles, devant les amis et les ouvriers rassemblés autour de la tombe : « Le Patron… ce nom, en désignant M. Cavaillé-Coll, n'avait rien de l'appellation familière que des employés donnent au chef d'une maison ; il voulait dire quelque chose de plus, de plus affectueux aussi. Cavaillé-Coll fut le chef et le protecteur de la facture d'orgues tout entière ; lui seul, et pas d'autres, éleva son métier à la hauteur d'une science et d'un Art, et grâce à son génie l'Orgue est devenu l'instrument merveilleux que nous possédons aujourd'hui ».

Les descendants de la famille

La cinquième génération de la dynastie des Cavaillé est représentée par les enfants de Vincent dont une fille Berthe (1845-1930) qui épousa en 1867 , principal harmoniste le l'entreprise. Aristide eu sept enfants dont quatre survécurent : Cécile Cavaillé-Coll (1854-1944), l'aînée qui resta auprès de son père jusqu'à son décès en 1899 ; Emmanuel Cavaillé-Coll (1860-1922) qui fit l'Ecole des beaux-arts ; (1862-1884) dont son père avait mis beaucoup d'espoir sans ses capacités de facteur d'orgue mais qui mourut prématurément à l'âge de 22 ans ; et (1864-1916), intéressé par l'apport de l'électricité dans la facture d'orgue.

Durant deux siècles en France, soit les époques baroques et romantiques, la dynastie des Cavaillé connut pas moins d'une dizaine de membres actifs dans la facture d'orgue. Aristide fut le génie de la famille et ses œuvres font encore et pour longtemps l'admiration des spécialistes et du grand public, touchés par l'émotion indicible qui se dégage de chacun de ses chefs-d'œuvre. Citons encore Charles Mutin : « Maître, dormez doucement de votre dernier sommeil, votre nom et votre souvenir pieusement conservés… Les Œuvres qui chantent pour vous suffisent à votre entrée dans l'immortalité ! »

Crédits photographiques : Plaque sur une console d'orgue « Cavaillé-Coll père et fils, facteurs d'orgue du Roi » ; Orgue de Saint Guilhem © Frédéric Muñoz, Portrait de , Portrait de Vincent Cavaillé-Coll © Image libre de droit

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