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Analyse et discours musical avec Sabine Bérard

Complété, corrigé et augmenté, le premier volume de Musique langage vivant, manuel d'analyse consacré au répertoire musical des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècle que signe Sabine Bérard, fait l'objet d'une nouvelle édition.

Si le plan d'ensemble reste inchangé, déclinant par chapitres les différentes formes instrumentales et vocales, l'ajout le plus conséquent de cette nouvelle parution se situe au tout début de l'ouvrage avec cette passionnante incursion dans le monde du Madrigal italien qui manquait à l'ancienne édition. Elle donne lieu à une analyse aussi fine que détaillée du quatrième des six derniers Madrigaux du cinquième Livre de (publié en 1605), T'amo mia vita, sur un poème de Giovanni Battista Guarini. Pour la première fois dans l'histoire du genre, ce Madrigal à cinq voix est écrit avec une basse continue notée par Monteverdi, signalant l'amorce de ce que le compositeur nomme sa « seconda prattica » (deuxième manière). La polyphonie des voix prend ainsi une dimension verticale, harmonique et pré-tonale, souligne l'auteure. Envisagée à des fins expressives, l'innovation est de taille et confère un tournant historique dans l'évolution du langage musical : « Ce sont les poètes qui ont appris la musique « moderne » aux compositeurs, mais c'est l'Imagination extraordinaire de ces derniers et les moyens inouïs qu'elle leur découvre, qui la fait advenir », insiste Sabine Bérard, scrutant avec une précision qui nous ravit « ce véritable manifeste de l'art nouveau » qu'est le madrigal T'amo mia vita.

L'analyste et historienne de la musique revient ensuite sur les neuf Livres de Madrigaux de Monteverdi, soulignant le « passage » de la « prima prattica » au « stile nuovo, rappresentativo et concertato », qui aboutit d'une part au genre de l'opéra et d'autre part au répertoire baroque de la musique instrumentale. Sans négliger le rôle de la chanson polyphonique française et ses représentants illustres, et notamment, œuvrant eux-aussi, à travers les pouvoirs expressifs de la voix, à l'émancipation et au développement de la musique instrumentale.

Si le processus analytique de chaque œuvre/forme abordée (le Madrigal, la Fugue, l'Ouverture, la Sonate, la Suite, le Concerto etc.) requiert l'intérêt premier, exemples musicaux à l'appui, les réflexions stylistiques et conclusions qui s'ensuivent élargissent considérablement le propos, offrant une synthèse magistrale de la forme en question, étayée de tableaux structurels et d'une étude historique qui fixe les connaissances autant que le vocabulaire. À ce titre, un « lexique complémentaire » dûment complété et placé en tête de l'ouvrage, prend en compte cette dimension essentielle qu'est la terminologie. Sous la plume élégante autant que généreuse de notre musicologue, l'entrée « Ethos » nous fait voyager des premiers âges de la musique antique (Héraclite) à l'époque baroque qui renoue avec les écrits des Anciens, invoquant tour à tour les pensées d'Aristote, Fink, Zarlino, Monteverdi, Mattheson, Marc-Antoine Charpentier, Bach, Rameau… Autant de richesses révélées dans le glossaire comme dans les sept chapitres de ce livre aussi érudit que didactique où l'organologie, l'évolution du langage, la question des styles et des courants nationaux prolongent et contextualisent le propos purement analytique.

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