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La sensibilité du clavecin allemand sous les doigts d’Anne-Marie Dragosits

Sous la citation poétique du choral « Je m’endormis et me mis à rêver… », Anne-Marie Dragosits propose un florilège de pièces de clavecin de l’Allemagne du XVIIIe siècle, comme une invitation à découvrir ce que l’Empfindsamkeit a pu produire, et le fait sur un magnifique et rare clavecin de Christian Zell.

Dans la notice de présentation, Anne-Marie Dragosits, tente de donner une cohésion d’ensemble au programme de son concert, sur les thèmes de la nuit, de l’endormissement, du rêve, du réveil, Hypnos, Thanatos, etc… Cette thématique n’est pas totalement factice, et ouvre l’oreille à la poésie propre de chaque pièce. Mais le vrai dénominateur commun de ce disque, c’est la période de l’Empfindsamkeit musical, et ce qu’elle a pu laisser pour le clavecin, en termes de variété de forme, de caractère, de liberté d’écriture, en dehors ou à côté de J.S. Bach. Il permet aussi d’explorer les racines religieuses de ce mouvement et même au-delà, son évolution vers le Sturm und Drang. Voici donc des extraits de Suite sur le modèle français (J. K. Fischer), des pièces à thème comme la Stahl, Réveille, Sommeille (C.P. E. Bach, Graupner), des extraits de Sonate (Kuhnau) ou de Partita (Graupner), une Fantasia (W.F. Bach), des chorals (J.S. Bach, Kehl) et même des variations sur un choral (C.P. E. Bach).

Anne-Marie Dragosits compose toujours ses programmes en fonction de la sonorité du clavecin dont elle dispose, et ce Christian Zell original de 1728 convient parfaitement à ses choix. Plus cuivré qu’argenté, le son du clavier principal offre une base solide et souple, alors que le clavier supérieur, plus doux et acidulé, flirte parfois avec des sonorités de cromorne ou de luth. Par le jeu des registrations, on arrive à entendre, dans le premier Sommeille de Graupner, un étonnant duo de sonorités de luth et de guitare, qui sonne comme une délicieuse réconciliation avant l’endormissement.

Anne-Marie Dragosits sert ces pièces avec une sensibilité admirable, sans alanguissement inopportun ni virtuosité trop démonstrative. Elle épouse à l’intérieur de chaque pièce sa poésie intrinsèque, la fait chanter et s’épanouir avec beaucoup de charme. Cette galanterie authentique, c’est-à-dire enracinée dans le sentiment, est sans doute l’essence même de cet Empfindsamkeit où elle voulait nous emmener. La façon dont elle construit la brillante Passacaglia de J. K. Fischer, qui clôt la merveilleuse suit Uranie, est particulièrement réussie. De même, le morceau de bravoure qu’est la longue Fantasia de W. F. Bach permet à la claveciniste viennoise de montrer son art de la respiration, des contrastes, en y mettant un souffle épique qui semble ouvrir la porte du Sturm und Drang. De même, la Suonata quarta de Kuhnau, sorte de mini-drame mis en musique, démontre une théâtralité étonnante. Entre ces « gros morceaux », Anne-Marie Dragosists répartit de savoureux chorals comme autant de ressourcements, et même de pétillantes variations (recomposées à partir de sources diverses) sur l’un de ces chorals, précisément le thème annoncé du disque : « Ich schlieff, da träumte mir ». Au total, une captivante exploration du répertoire baroque allemand pour le clavecin.

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