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Quand les musiciens allemands s’emparaient du style lulliste

Pour son premier enregistrement, le jeune ensemble a choisi d'illustrer l'influence de la musique française dans les cours allemandes autour de 1700.

L'influence artistique du règne de Louis XIV à travers toute l'Europe est considérable. Au-delà de la puissance politique et militaire de la France de l'époque, le style versaillais a infusé tous les arts, tant était important le rayonnement culturel du royaume à la fin du XVIIᵉ siècle. Il n'est que de considérer tous les châteaux qui ont été érigés comme autant de « petits Versailles » dans de nombreux États germaniques à l'époque. Il en est de même pour la musique, où le style dont Lully fut le promoteur se retrouve partout : ouverture à la française, suites de danses, écriture à cinq parties… Le meilleur exemple d'assimilation du style français nous est donné par le compositeur . D'origine savoyarde, formé en Alsace et en Italie auprès de Pasquini, il étudia à Paris avec Lully avant de faire carrière à Vienne, Prague, Salzbourg et Passau. Il est donc au carrefour des traditions musicales française, italienne et germanique. « Lorsque je mêle des airs français à ceux des Allemands et des Italiens, ce n'est pas pour émouvoir une guerre, mais plutôt préluder peut-être à l'harmonie de tant de nations, à l'aymable paix« , écrit-il dans la préface de son Florilegium Primum en 1695. Les sonates de l'Armonico tributo, véritables concerti grossi, se réclament conjointement de l'influence de Corelli et de celle de Lully. Il est ainsi le précurseur des Goûts Réunis qui culmineront au début du XVIIIᵉ siècle. n'est pas en reste au regard de sa parfaite connaissance de la tradition lulliste, sans que l'on ait la preuve qu'il soit venu se former en France. Ses suites pour clavecin en attestent, mais également les suites orchestrales de son « Journal du Printemps » (publié sous ce titre en français). Celle qui est jouée ici cite presque littéralement certaines danses d'opéras de Lully. Enfin, George Philipp Telemann, d'une génération plus jeune, se réclame lui aussi du style français, bien que l'influence italienne soit aussi palpable.

Le cosmopolitisme des compositeurs de ce programme fait écho à la mosaïque de nationalités des musiciens qui constituent . On sent chez les musiciens une belle complicité artistique et une parfaite connaissance de la danse, ce qui donne beaucoup d'élan à cette interprétation enjouée. Le livret nous signale qu'ils utilisent des partitions réduites en basse et dessus comme éditées à l'époque, ce qui permet une très grande liberté dans les parties intermédiaires comme dans la réalisation de la basse continue. On remarquera particulièrement ce que fait Julio Caballero Pérez au clavecin dans les conduits et parties improvisées, ainsi que la vélocité exceptionnelle du basson de Claudius Kamp. Dans la suite de Telemann, un très beau solo de basse de viole, joué avec beaucoup de sensibilité par Bruno Hurtado Gosalvez et accompagné au théorbe, nous offre une magnifique respiration au milieu du tourbillon des danses. La Chaconne qui conclut la suite de Fischer est un modèle du genre, comme on en trouve à la fin des tragédies lyriques de Lully. Au château de Rastatt, où Fischer était attaché à la cour du Margrave de Bade, l'illusion d'être à Versailles devait être parfaite, depuis l'architecture jusqu'à la musique.

Encore une réussite du projet Eeemerging, qui repère et promeut les meilleurs ensembles européens de musique ancienne, et leur permet d'enregistrer leur premier disque dans la Collection Jeunes Ensembles du label Ambronay.

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