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La luxuriance du clavecin allemand au XVIIe siècle par Yoann Moulin

Après un premier opus consacré à Scheidt et Scheidemann, nous propose le deuxième volume de son anthologie consacrée à la musique de clavecin allemande au XVIIᵉ siècle, autour de la figure centrale de .

Nous sommes en Allemagne du nord en pleine Guerre de Trente Ans. Le jeune étudie auprès de Schütz à Dresde, puis auprès de Jacob Praetorius à Hambourg. Au contact du premier, il acquiert une parfaite connaissance du style italien. Plus tard, il rencontrera à Dresde le grand Froberger qui deviendra son ami et lui apportera sa parfaite connaissance du style français acquise au cours de ses séjours à Paris. C'est d'une fusion entre ces deux influences stylistiques que se nourrira l'écriture des clavecinistes allemands au milieu du XVIIᵉ siècle.

Le programme de cet enregistrement nous propose une alternance entre toccate et canzone à l'italienne et suites de danses à la française. Mais ce qui constitue la signature de cette école allemande pour claviers, c'est le stylus fantasticus : un jeu libre et virtuose, fait de ruptures et de contrastes, qui fait alterner dans une même pièce des épisodes qui s'opposent sans continuité, avec des ruptures de tempo et des fulgurances soudaines, comme dans une improvisation. Un art du mouvement, de la courbe, des surprises. Profondément baroque. « Musique des temps troublés, musique fantastique, étrange » écrit dans le beau texte de présentation de son programme, présenté sous le titre évocateur de « Stylus luxurians ». Et c'est bien de luxuriance qu'il s'agit ici, dans ces pièces libres qui font briller le clavecin de mille feux.

Aux côtés de Weckmann, on trouve un prélude de Tunder, originalement écrit pour orgue, et un Ricercar de Froberger. Pour conclure, c'est qui introduit ce que sera la génération suivante des clavecinistes allemands, avec une suite à la française et un prélude étonnement intitulé « Sonatina » qui rappelle Buxtehude. Ritter fut au service de la cour de Suède, et son allemande en forme de tombeau pour le décès du roi Charles XI se situe dans la lignée des célèbres tombeaux écrits par Froberger une quarantaine d'années plus tôt.

On retrouve ici avec bonheur, comme dans le précédent volume de cette anthologie, le magnifique clavecin de Philippe Humeau d'après Rückers. Le toucher à la fois charnu et subtil du claveciniste lui confère toute l'ampleur et la chatoyance propres à ce répertoire, parfaitement servi par la prise de son de Jérôme Lejeune. Le jeu de nous offre des fulgurances virtuoses, tout en étant parfaitement maîtrisé et pensé, au service d'une phrase musicale d'une grande fluidité. L'architecture de la polyphonie reste toujours bien lisible. Au milieu du programme, une grande paraphrase de Scheidemann sur le motet Benedicam Domino de H. Praetorius déroule ses diminutions virtuoses et illustre à merveille l'art déclamatoire de la musique instrumentale de cette époque.

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