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Armida à Marseille, pour le plaisir du belcanto

À peine une quinzaine de jours après son Guillaume Tell, l'Opéra de Marseille récidive avec un autre opéra de Gioachino Rossini, Armida, aussi éloigné que faire se peut du précédent.

En effet, alors que Guillaume Tell marque les débuts du grand opéra à la française, Armida, créée en 1817 au San Carlo de Naples, est encore totalement immergé dans le belcanto, avec une technique vocale bien spéciale, qui fait notamment appel à de nombreux traits d'agilité. De tous les opéras seria composés par Rossini, c'est aussi un des plus périlleux, tant les parties chantées sont virtuoses et techniquement exigeantes. Il a aussi la particularité de ne faire appel qu'à un seul rôle féminin, entouré de cinq ténors et trois basses. C'est que la diva maison, Isabella Colbran, future madame Rossini, ne supportait pas d'autres cantatrices qu'elle-même sur scène. L'époque était encore marquée par le long règne des castrats, qui après leur extinction, avaient été remplacés par des mezzo en travesti. L'oukase de la soprano vedette a ainsi contraint le compositeur à multiplier les rôles de ténors, sans pour autant renoncer à ses exigences vocales. C'est donc une gageure de monter Armida avec une distribution adéquate. Là encore, l'Opéra de Marseille n'a pas failli.

Mais, à sa création, Armida était aussi un opéra de machines, censé impressionner le public du XIXe siècle, en lui exhibant des monstres, des duels et des jardins enchantés, ce qui à notre époque peut conduire soit à des coûts pharaoniques, soit à un ridicule achevé. Marseille s'est dès lors prudemment tenu à une version concertante. Cependant, le livret est compliqué, et peut-être aurait-il fallu quelques jeux de scène pour l'expliciter : un petit geste, une intention, une mimique auraient probablement suffi. Par exemple, quand les croisés entraînent le héros de force sur leur navire, il aurait été suffisant qu'ils le prennent par le bras et sortent de scène ensemble, au lieu que chacun remballe sa partition sous le bras et se dirige sagement, l'un côté cour, les autres côté jardin.

C'est d'autant plus vrai que, comme probablement depuis sa création, les trois ténors se partagent cinq rôles, ce qui obscurcit d'autant plus l'intrigue qu'elle n'est pas explicitée par un changement de costume ou d'attitude, et on ne peut s'empêcher de sourire quand notre voisine s'exclame en voyant revenir sur scène « mais il n'est pas mort, lui ? »

Trois ténors, donc, dont deux se partagent quatre rôles. et , habitués aux difficultés rossiniennes, sont quasi parfaits. Leur seul problème, c'est que dans le célèbre « In quale aspetto imbelle », un des seuls trios de ténors dans l'histoire de l'opéra, l'éclat et la vaillance d' les relèguent quasiment aux oubliettes. Celui qui est en passe de devenir le ténor chéri de Marseille, sous les bravos du public enthousiaste, traverse alors la scène, et avec une générosité toute sicilienne, les attrape chacun d'un côté pour profiter des acclamations. Incroyable , dont il y a un peu plus d'un an, on doutait de sa faculté à émettre des aigus faciles et non tirés, et qui maintenant, en pleine santé vocale, se ballade en quelques jours d'Arnold en Rinaldo sans difficulté apparente !

Un peu comme pour les ténors, il y a plusieurs rôles de basses qui peuvent être distribués aux mêmes chanteurs, voire à un seul. Curieusement, les trois ont été répartis sur deux interprètes, et les pauvres et ont bien peu à chanter.

Pour être franche, on n'imaginait pas vraiment en Armida, et ce fut une incroyable révélation. Technique affûtée, aigus dardés, vocalises précises, tout est réuni pour dessiner une grande héroïne. Elle est d'autre part aussi belle à regarder qu'à écouter, et très élégante dans ses robes moulantes à paillettes. Le duo « Amor, possente nome ! » avec le toujours aussi sexy confine à l'érotisme. Le public, constamment enthousiaste à Marseille, applaudit et crie, quitte à couper à chaque fois l'air de sa cabalette.

Les chœurs sont assurés et homogènes, mais sans vouloir être bégueule, on note que pendant les intervalles où ils ne chantent pas, certains choristes se vautrent sur leur chaise dans des attitudes bien peu professionnelles, voire quittent la scène.

Dernière curiosité concernant Armida : un long ballet clôture le deuxième acte, ce que Rossini n'a jamais fait à part cette fois pour ses opéras italiens. C'est le moment idéal pour les solistes instrumentaux (violoncelle, violon, harpe, flûte, piccolo, cor dans l'ouverture…) de montrer de quoi ils sont capables. Sous la baguette de , l'orchestre en son entier sonne plus que respectable.

Crédit photographique : © Christian Dresse

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