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Musique et pensée environnementale au festival des Bernardins

Tempus fugit, le temps passe… avec cette locution, l'opus 1 du tout nouveau Festival des Bernardins propose une exploration pluridisciplinaire de la notion du temps et des transformations environnementales, à la croisée de la pensée et des arts.

La thématique n'y est pas nouvelle : dès 2017, le Collège des Bernardins avait ouvert un séminaire sur « les sources de l'insensibilité écologique », et plus récemment, en mars 2021 une chaire (Laudato si') y a été créée en vue d'explorer scientifiquement et spirituellement la question du temps relative aux bouleversements environnementaux et à leurs conséquences. Pierre Korzilius, directeur du Pôle Art et Culture, nous invite à appréhender cette question de l'écoulement du temps non point seulement avec les mots, mais avec ce que l'art a d'ineffable et en particulier avec la musique. 

Au programme de ce premier concert, trois grandes œuvres porteuses d'un message fort. a rassemblé pas moins de cinq formations de chambre comme les quatuors Arod, Hanson, Ébène, ou les cordes du trio Sora, constituant un orchestre à cordes (avec l'ajout de trois contrebasses), pour accompagner dans un premier temps la jeune mezzo-soprano dans le très rare et peu connu poème d', Il tramonto. Composé en 1918, ce « Crépuscule » d'après le poème de l'Anglais Percy Bysshe Shelley, conte une catastrophe annoncée, la décrépitude et la mort. Un univers bien éloigné des riants et bucoliques Pins de Rome ou des Fontaines de Rome ! Originellement pour quatuor à cordes et voix, l'œuvre est dans cette formation augmentée, restituée avec une intensité et un lyrisme bouleversants. L' dirigé par l'ex-alto fondateur du Quatuor Ébène a ainsi cette densité propre aux pupitres d'orchestre symphonique, tout en possédant la plasticité et la couleur d'un ensemble de musique de chambre : en tire idéalement parti dans cet arrangement de son cru qui réserve de belles parties solistes. La voix veloutée d' vient s'enchâsser magnifiquement dans le tissu mélodique des cordes, l'expression juste, sans jamais forcer le trait ni accuser le drame par surcroît de puissance. Le phrasé sensible et souple, la finesse des inflexions, les couleurs dont elle sait habiller le chant pour le rendre expressif, passant du grave aux aigus avec une facilité confondante, dévoilant des timbres de grande beauté, sont les armes dont elle use pour nous émouvoir. On est admiratif, et l'on se prend à imaginer l'entendre peut-être un jour dans quelque lied de  


Il est justement question de ce compositeur ensuite, avec une autre œuvre rarement donnée : ses Métamorphoses. Écrite pour vingt-trois cordes solistes, cette dernière composition orchestrale de Strauss trouve sa source inspiratrice dans la Métamorphose des plantes de Goethe. À l'image de la croissance des végétaux, l'œuvre se déploie organiquement à partir d'un thème en perpétuelle transformation. Construite comme une grande arche où sept voix s'entrelacent, se démultiplient, se superposent, sa musique intensément lyrique est un chant infini qui culmine en son centre, soulevée, portée par la direction précise et inspirée de . De la gravité de l'adagio à la ténébreuse marche funèbre qui la conclut (souvenir de celle de Beethoven dans sa troisième symphonie), le chef nous transporte dans ses élans chavirants, son lyrisme éperdu, son souffle, ses paysages intérieurs mouvants, sans que jamais la tension expressive ne retombe, sans que jamais sa polyphonie complexe ne soit brouillée ou confuse. Une interprétation fascinante servie par un ensemble de virtuoses, sachant se fondre dans d'amples lignes mélodiques, comme émouvoir dans des solos d'une renversante beauté. 

Ode à la nature, la Symphonie n°6 « Pastorale » de apporte sa lumière et son espérance à ce programme tout en faisant écho au film dystopique Soleil Vert de Richard Fleischer, projeté dans le cadre du festival. On se souvient de cette fiction futuriste de 1973, sur fond de désastre écologique et humanitaire qui se déroule… en 2022. Et on se souvient de sa scène d'euthanasie particulièrement frappante sur les notes de l'idyllique Pastorale. Quelques timbales, cuivres et bois ont rejoint l'ensemble à cordes. Des radieux chants d'oiseaux au bruit des sources, la symphonie devient une vivante fresque d'un beau relief, chaque couleur instrumentale et pupitre mis en valeur. Arrive l'orage, comme jamais on ne l'a entendu. Quelle tempête ! Mathieu Herzog déchaîne ici la violence des éléments, fait tonner les percussions. Le dérèglement climatique nous vient à l'esprit. On entend alors le calme qui suit, non sans écouter en nous-même ce qui nous relie à notre bonne Terre… Un concert assurément percutant. 

Crédits photographiques © Vinciane Lebrun/Voyez-Vous

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