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Élégantes soirées parisiennes à Vilnius

Du 17 novembre au 4 décembre, la capitale de la Lituanie accueille la 7e édition du Festival de piano de Vilnius dont la pianiste assure la direction artistique. Cette artiste qui connaît remarquablement la culture française, a concocté une programmation intitulée « soirées parisiennes » avec, en tête d'affiche, l'œuvre de Saint-Saëns dont nous commémorons, cette année le centenaire de la disparition. Soulignons le partenariat bienvenu de la manifestation avec l'Institut Français de Lituanie.


Est-ce l'inspiration du thème du festival ou bien l'atmosphère élégante de la Philharmonie de Vilnius qui réjouissent les auditeurs à la deuxième soirée du festival, dédiée, le 20 novembre, à Fauré, Saint-Saëns et Chausson ? À l'évidence, le public d'une salle comble attend avec curiosité la première œuvre – la Suite de Pelléas et Mélisande de Gabriel Fauré – interprétée par l'. Le chef français – il remplace au pied-levé Michel Plasson – dirige avec autant d'expressivité que de précision, une formation presque intimidée par un répertoire qui n'est pas le sien. La fraîcheur de cette musique chargée de non-dits incite les pupitres à la plus grande concentration, d'autant plus que les tempi retenus et les nuances pianissimi imposent des équilibres minutieux. L'acoustique analytique de la salle met à découvert chaque solo des vents. Le hautbois et le cor solo ont fort à faire. La lecture touche par sa sobriété attentionnée qui efface, en partie, la dimension dramatique de la pièce, plus souvent soulignée par nos orchestres hexagonaux.


est la soliste du Concerto pour piano n° 2 de Saint-Saëns. Le pathos lui est étranger et c'est tant mieux ainsi. Plus encore, elle montre à quel point le reproche d'académisme fait encore au compositeur s'avère erroné. La toccata introductive est rapide, presque cinglante. L'Allegro scherzando placé en seconde position, ce qui est en soi une originalité, est un défi lancé au concerto classique. assume les risques pris : « ça passe ou ça casse ! ». Elle possède un jeu contrasté dans les attaques, les dynamiques et, plus encore, le savoir d'une distinction toute française : elle magnifie une technique perlée et lisztienne jusque dans les rythmes chaloupés et volontairement populaires de l'écriture. Sans cette “distinction”, ils deviendraient triviaux. et Mūza Rubackyté révèlent une vraie complicité, souvent virtuose quand il s'agit de rattraper un temps. Cela nécessite une réactivité instinctive du chef, de la soliste et de l'excellent violon solo Dalia Dedinskaité. Voilà une interprétation vivante et non-dénuée d'humour. En “bis”, Mūza Rubackyté nous offre un Clair de Lune de Debussy étonnamment vif, d'une clarté pastel, et s'interdisant tout alanguissement.


La Symphonie en si bémol majeur d'Ernest Chausson n'encombre guère les programmes des orchestres, y compris en France. Elle était, comme le reste du programme, le choix de Michel Plasson et qui dirigeait par cœur, n'avait heureusement rien modifié. L'orchestre dont la sonorité ne fait pas mystère de sa pratique du répertoire germanique, prend l'œuvre à bras le corps. La partition compose une synthèse de la fascination germanique (et paradoxale) des musiciens français, durant la seconde moitié du XIXe siècle. Les influences de Wagner et de Franck, le pressentiment de Max Reger et de Gustav Mahler, des parentés avec les écritures d'Albéric Magnard et Vincent d'Indy situent la Symphonie aussi bien aux antipodes d'un Berlioz que de l'impressionnisme naissant. On sent que l'orchestre prend plaisir à cette musique qui exprime un caractère héroïque et morbide, mais aussi une violence expressive. La mise en place si périlleuse – notamment dans le second mouvement – stimule les pupitres. Nous revient en mémoire cette phrase de Charles Münch répétant la Symphonie Fantastique de Berlioz avec le jeune Orchestre de Paris : « Alors là, Mesdames et Messieurs, il faut tout me donner ».

Le 21 novembre, en matinée, la salle de la Philharmonie accueille les Jeunes talents de Lituanie, sélectionnés et préparés par Mūza Rubackyté dans le cadre de la fondation Rostropovitch. Douze jeunes musiciens, adolescents et jeunes adultes parfois vainqueurs de grands concours se produisent dans des œuvres du répertoire romantique, soit en solistes ou bien en petites formations de musique de chambre. Une belle démonstration des talents venus de toute la Lituanie dans le cadre d'un concert “familial”, certes, mais dont la barre était placée fort haut. Parmi les artistes déjà de niveau professionnel, nous retenons les noms de deux pianistes, deux vraies personnalités musicales : Simonas Poška et d'Elžbieta Dvarionaité. Le premier étudie à Hanovre et la seconde, à Vienne. Le public composé en partie de jeunes enfants, demeure d'une concentration pour le moins étonnante. La Lituanie, un pays de musiciens… À méditer…

À noter, les deux prochains pianistes français invités au festival de Piano de Vilnius. François-Frédéric Guy : Debussy et Beethoven (25 novembre). Jean-François Heisser, Mūza Rubackyté, Orchestre de chambre de Lituanie, Vilmantas Kaliūnas, direction : Mozart, Haydn, Saint-Saëns (27 novembre).

Crédits photographiques : © Dmitrijus Matvejevas

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