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Le dernier Schubert d’Evgeni Koroliov au Théâtre des Champs-Élysées

Dans le cadre des concerts du dimanche matin et intégré au cycle Le Dernier Voyage de Schubert du Théâtre des Champs-Élysées, Evgeni Koroliov interprète avec sa superbe mesure deux ouvrages majeurs de l’ultime période du compositeur autrichien.


Devant une salle bien remplie jusqu’au premier balcon, preuve que les concerts du dimanche matin des productions Jeanine Roze attirent toujours autant malgré la situation sanitaire, Evgeni Koroliov entre en scène, une partition à la main, posée devant lui sans être jamais ouverte. Le programme intégré au cycle Le Dernier Voyage de Schubert prévoit deux œuvres pour piano seul du compositeur, d’abord les 3 Klavierstücke D. 946, puis la Sonate n° 19 en ut mineur D. 958.

Écrites à peine six mois avant la mort de l’artiste, en 1828, les trois pièces pour piano étaient en réalité censées être un nouveau groupe de quatre impromptus, thèse réfutée par certains musicologues, tant leur typologie individuelle comme globale diffère des deux cycles précédents, D. 899 et D. 935. Publiés seulement en 1868 par Brahms, sous le titre très simple de 3 Klavierstücke (Trois pièces pour piano), elles sont emplies de cette lumineuse nostalgie qui imprègne presque toutes les œuvres du dernier Schubert. Evgeni Koroliov y entre par la couleur, tout en maintenant un toucher relativement accentué, bien appuyé par les pédales. Quelque peu en difficulté à l’extrême aigu du clavier, qu’il rate dès l’introduction de la pièce n° 1 et à nouveau au da capo, le pianiste propose par ailleurs un jeu bien plus fluide que d’autres pour préserver le caractère d’impromptu de cette partition, sans non plus vouloir la rendre joueuse.

Sur cette pièce en mi bémol mineur, Koroliov suit Schubert plutôt que Brahms, puisqu’il n’interprète pas le second trio, écrit puis biffé par le compositeur avant d’être réintégré tout de même par le cadet à la publication. L’intégralité du cycle s’étale donc sur moins de trente minutes, avec un somptueux Allegretto, pièce n° 2 maintenue dans un caractère soucieux par ses syncopes trop tendues pour paraître vraiment joyeuses. Le pianiste conclut la pièce par une main tout juste relevée afin d’empêcher les applaudissements, puis dynamise et éclaire la n° 3, en ut majeur.

Un bref aller-retour en coulisse et Koroliov se rassoit devant une partition qu’il n’ouvre toujours pas. Il se lance dans la Sonate n° 19 avec la même mesure et la même intégrité qu’auparavant, et offre un jeu plus délié et donc plus libre qu’auparavant, dans lequel il entretient une douce gravité, notamment par la pédale, dès qu’il faut accroître les incursions dans la partie grave du Steinway. Passé l’Allegro, l’Adagio s’épanche calmement, sans chercher à trop démarquer les contrastes, puis le Menuetto s’enchaîne, toujours très modéré. L’Allegro final complète magnifiquement cette vision globale, souple sans jamais être légère, en plus de mettre en avant une parfaite maîtrise technique des mains croisées dans la dernière partie.

Devant de généreux applaudissements, Koroliov livre deux bis, en parfaite cohérence avec le programme. D’abord le très célèbre Moment Musical n° 3, style de composition auquel certains rapprochent justement parfois les Klavierstücke D. 946, puis un petit trio, celui du Menuetto de la sonate précédant celle interprétée juste avant, la 18ème D. 894.

Crédits photographiques : © Gela Megrelidze

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