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Avec Bartoli et Vistoli, couleurs et sculptures pour le Stabat Mater de Pergolesi

Lecture intimiste d'une œuvre phare de la musique sacrée baroque. Rejetant pour un soir virtuosité et brillant, et misent sur l'intensité et la délicatesse de l'expression.


C'est à , le jeune contreténor italien qui monte, qui monte…, qu'il échoit de démarrer le concert. Visiblement un peu intimidé, il peine quelques instants à homogénéiser les registres de sa voix. Pourtant, il apparaît très vite que la technique est sûre et accomplie, l'instrument de belle qualité et la musicalité d'un goût exquis. La cantate de Vivaldi Clarae stellae, scintillate bénéficie de vocalises nettes et précises, de trilles parfaitement exécutés et de crescendi de toute beauté. C'est ensuite au tour de de faire son apparition, sobrement vêtue d'un costume noir, pour un air extrait du célèbre Gloria du Prete rosso, visiblement choisi pour le solo de hautbois qu'interprète magistralement . Ce dernier sera également le soliste d'une exécution virtuose du Concerto en ré mineur de Marcello. Le second morceau choisi par Bartoli, l'air « What passion cannot Music raise and quell! », est extrait de l'Ode for St. Cecilia's Day de Haendel. Il s'agit d'un hommage au pouvoir expressif de la musique que la diva a déjà interprété dans cette même salle il y deux ans exactement. Toute en mezza voce et en demi-teintes, elle parvient à y trouver de nouvelles couleurs et de nouvelles nuances, filant le texte jusqu'aux limites du murmure. Le solo de violoncelle sur lequel se conclut l'air semble se faire le relais d'une voix disparue dans l'immensité céleste. Pour chaque morceau musical, est projetée sur une toile de fond une superbe photographie représentant la ville de Venise ou un décor de théâtre. Le procédé sera particulièrement mis en valeur pour le dernier morceau de la programmation.

Le Stabat Mater de Pergolesi est en effet la pièce-maîtresse du concert. Visiblement très travaillée par les deux interprètes, elle leur permet de fondre en un tout harmonieux la matière vocale de leurs instruments respectifs. La manière dont les deux artistes sculptent leur voix, autant pour le déploiement de longues phrases superbement galbées que pour la fine dentelle des ornements, est évidemment à mettre en rapport avec les photographies noir et blanc des sculptures projetées en toile de fond, et dont la magnifique scénographie permet d'apprécier chaque détail. On regrette au passage que la provenance des œuvres représentées n'ait pas été signalée sur le programme de salle. Quoi qu'il en soit, la délicatesse des colorations et des volumes sonores des deux chanteurs, la lenteur des tempi de ou la nervosité retenue pour les passages plus allants, la rondeur des sonorités orchestrales des Musiciens du Prince-Monaco, font de cette œuvre d'une rare maturité musicale un véritable monument d'intensité expressive. Certains, on s'en doute, préfèreront des lectures plus neutres. Ce soir, le raffinement extrême de l'exécution, dont on pourra nous dire qu'elle frise l'excès de sophistication, s'impose pour ce répertoire comme une évidence.

Le rejet de la virtuosité gratuite est également illustré par le choix des bis retenus pour la fin du concert. L'inusable « Lascia la spina » pour Bartoli, le « Cum dederit dilectis suis » du Nisi Dominus de Vivaldi pour Vistoli, et enfin, pour les deux solistes, l'« Amen » du Stabat Mater dans la version adaptée par . Ceux qui s'attendaient à une démonstration de brillant n'auront peut-être pas eu leur compte. Les amateurs d'intensité expressive et de vérité musicale, eux, auront été comblés.

Crédit photographique : et -Monaco © Philharmonie Luxembourg / Sébastien Grébille

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