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Double portrait Schubert Lachenmann aux Volques de Nîmes

Le festival de musique(s) Les Volques dédié aux formations de chambre propose un portrait croisé de deux compositeurs :  après la rencontre Manoury/Beethoven (number I), celle de Lachenmann/Schubert nourrit une programmation des plus fascinantes.

Un peu d’histoire d’abord : Les Volques constituent le premier peuple (celte d’origine) qui s’est sédentarisé en Occitanie au IIIᵉ siècle avant J.C. et dont l’emblème de la palme sur le crocodile s’est maintenue jusqu’à nos jours. C’est dire la volonté de ses organisateurs d’ancrer le festival dans le territoire nîmois, en sollicitant les forces locales autant qu’internationales et en investissant des lieux emblématiques de la ville et ses environs, tels le Pont du Gard, Le Carré d’Art ou encore le Musée de la Romanité où dialoguent le patrimoine et l’architecture contemporaine. L’équipe des Volques mène également une activité de médiation à l’année, dans les écoles, les centres sociaux et les quartiers de Nîmes par le biais d’ateliers participatifs (autour de La Truite de Schubert cette année) qui créent le désir et engagent enfants et famille à venir au Théâtre de Nîmes lors du festival. Corinne Schneider, musicologue et productrice à Radio France est sur scène avant chaque concert pour donner au public des clés d’écoute ; elle est relayée cette année par son collègue allemand, dramaturge au Gürzenich Orchester de Cologne, Patrick Hahn qui sollicite plus d’une fois le dialogue avec Helmut Lachenmann : échanges émaillés d’humour et fort sympathiques qui avivent la curiosité et nous font tendre l’oreille…

À 86 ans, Helmut Lachenmann est l’une des plus grandes figures du monde musical contemporain, compositeur et penseur de la musique ayant entraîné dans son sillage bon nombre de suiveurs. Disciple de Luigi Nono dans les années 1960, il développe quelques années plus tard son concept de « musique concrète instrumentale » dans une attitude politique autant que critique vis à vis de la tradition et du matériau. Ainsi choisit-il de composer une musique faite de bruits, mais produite par les instruments classiques. Au rythme de trois concerts par jour, c’est ce que nous font entendre les neuf pièces au menu de ce week-end riche et dense, jouant sur l’alternance des œuvres de l’Autrichien et de l’Allemand.

Des concerts intergénérationnels

La première journée au Théâtre de Nîmes invite sur la scène l’immense pianiste et chef d’orchestre Jean-François Heisser ainsi que le Quatuor Diotima qui poursuit son intégrale des trois quatuors à cordes de Lachenmann débutée la veille. Gran Torso (1972) est le premier, et le plus radical sans doute, qui évolue dans un contexte essentiellement bruitiste où la friction de l’archet sur la corde et l’énergie du geste qui la produit sont à la source du son. L’instrument devient pour le compositeur un objet à scruter (frottement, grincement, claquement, etc.), dont il nous invite à écouter d’une oreille neuve le son produit dans l’instant. Rompus aux techniques de jeu exigées par cette approche singulière, nos quatre musiciens (précisons que Léo Marillier remplace désormais Constance Ronzatti) explorent les capacités de leur instrument avec une dextérité et une élégance du geste qui captent l’écoute d’un public ébahi.
En matinée, Jean-François Heisser s’est entouré de quatre jeunes interprètes « génération Volques » (en lien avec l’Académie Internationale Maurice Ravel de Saint-Jean de Luz qu’il dirige) pour jouer le Quintette « La Truite » : une interprétation lumineuse et en parfaite synergie qui culmine dans le quatrième mouvement avec les variations sur le Lied éponyme.

Le pianiste revient en soirée pour un récital très attendu, associant deux œuvres d’envergure. Serynade (2000) de Lachenmann est une musique nocturne mettant à l’œuvre les jeux de résonance via la pédale « tonale », essentielle pour la réalisation de la partition. La pièce engage une virtuosité des mains autant que des pieds, précise l’interprète ! Un réglage du clavier est nécessaire avant La Sonate pour piano n° 17 en ré majeur D850 dans laquelle s’embarque Jean-François Heisser, conférant un souffle et une vision formelle magistrale à une partition qui cristallise un moment heureux de la vie de Schubert. Sa « Winterreise » (Voyage d’hiver), au programme de l’après-midi, est certainement son dernier voyage. Le cycle des 24 Lieder jouit d’une interprétation aussi sensible qu’émotionnelle du ténor Julien Behr et de Mathieu Pordoy jouant un piano Erard de 1870. Quant aux sept petites pièces pour piano Ein Kinderspiel de Lachenmann, elles font l’objet d’un spectacle dansé avec les élèves du conservatoire et Pascale Berthelot (co-directrice du festival) au piano, bien moderne celui-là.

D’un musée à l’autre

La journée de clôture du festival est itinérante, d’autant plus attractive qu’elle offre d’autres espaces et perspectives selon le lieu investi. C’est un concert « avec vue » (celle de la Maison Carrée) que nous offre Le Carré d’art où trône, dans le grand hall d’entrée, un set de percussions luxueux. C’est le dispositif requis pour Intérieurs I (1966) d’Helmut Lachenmann, une pièce éminemment exigeante et ciselée mettant en vedette la très jeune (encore étudiante au CNSM de Lyon) et féline Yi-Hsuan Chen. Le Trio fluido, notre coup de cœur, est écrit la même année, à Venise où le compositeur, travaillant encore avec Nono, s’affranchit des interdits prononcés par le maître. Eriko Minami (percussions), Carole Roth-Dauphin (alto) et Christian Laborie (clarinette) en dévoilent tout à la fois l’invention jaillissante et l’impeccable conduite formelle. Aux œuvres de jeunesse de l’Allemand répond l’opus posthume de l’Autrichien : le Quintette pour deux violoncelles D956 est joué par les Pléiades (phalange issue de l’orchestre Les Siècles) : un monument bien défendu par nos cinq interprètes féminines même si l’acoustique des lieux et la fragilité des instruments d’époque ont parfois nui à l’équilibre sonore et à la justesse.

Le décor est plus fabuleux encore, plus intimiste aussi, au Musée de la Romanité offrant au regard de somptueuses mosaïques antiques. Le violoncelliste Robin Michael y interprète Pression (1969), une pièce emblématique de la « musique concrète instrumentale » déjà définie, lumineuse dans la chorégraphie de gestes et l’aisance virtuose que déploie l’interprète. On retrouve le clarinettiste Christian Laborie en soliste dans Dal niente (1970), une partition à l’orée du souffle et au bord du silence (comme son titre le signale), zébrée de traits fulgurants qui disparaissent aussitôt : autant d’interrogations à la racine du geste musical. Belle idée de prolonger le mystère avec le Quatuor à cordes n°13 «Rosamonde» de Schubert dont s’empare le Quatuor Diabelli (Aude Périn-Dureau et Anne-Marie Regnault, violons, Carole Dauphin, alto et Ariane Lallemand violoncelle) dont les musiciennes traduisent très justement cette proximité avec le Lied et la nostalgie qui affleure.

Le dialogue des mondes

Du balbutiement au cri, la voix est au cœur du dernier concert où les fils tendus entre le passé et le bel aujourd’hui semblent relier plus étroitement encore les deux mondes. Si le traverso (en bois) de Marion Ralincourt supplée la voix dans les très belles variations sur Trockne Blumen de Schubert (extrait du cycle La Belle Meunière), sa flûte est moderne, au côté du violoncelle d’Amaryllis Jarcyck et de la soprano Tara Stafford-Spyres dans TemA (1968) d’Helmut Lachenmann, une pièce ludique et facétieuse à l’image de son concepteur, à jouer « ohne Ausdruck » (sans expression), comme toute la musique de Lachenmann ! Avec le piano Erard de Mathieu Pordoy et la clarinette d’époque de Christian Laborie, Le pâtre sur le rocher chanté par notre soprano est un enchantement tout comme les deux lieder (on aurait aimé plus) extraits de La Belle Meunière offerts au public par son époux Michael Spyres. Mais le grand frisson nous vient des Diotima qui réinvestissent le plateau pour le troisième quatuor à cordes du maître de Stuttgart, Grido (Cri), la pièce la plus récente (2001) de cette programmation. L’environnement y est moins bruitiste que dans Gran Torso, le matériau plus homogène et les figures sonores bien dessinées, comme ces « sons à l’envers » qui nourrissent une longue séquence : un univers traversé par le souffle et le mouvement que nous communiquent avec une rare ferveur les Diotima au sommet de leur art.

Rendez-vous est pris pour l’année prochaine où la musique de Schumann rencontrera celle de la compositrice autrichienne Olga Neuwirth.

Crédit photographique : Carole Roth-Dauphin

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