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Erreurs salvatrices ou les labyrinthes du rêve au TCI

Réalisation interdisciplinaire, Erreurs salvatrices associe le texte, l'image, le corps et la musique. Le spectacle qui met en scène l'acteur relève de la forme ouverte telle qu'aime l'envisager son concepteur .

Le plateau du Théâtre de la Cité Internationale est immense, où le public est invité à déambuler ou s'asseoir sur de petits tabourets de carton qu'il peut déplacer librement. Des écrans géants se font face sur les parois latérales tandis qu'une structure circulaire occupe le centre de l'espace : une masse de cordes en coton blanc accrochée à un agrès aérien. On reconnaît le dispositif « fileuse » qu'a créé la danseuse et acrobate Cécile Mont-Reynaud, fidèle partenaire de Wilfrid Wendling avec lequel elle collabore depuis une vingtaine d'années. Elle partage, ce soir, l'aventure avec Alvaro Valdès Sotto : on les voit jouer avec les filins qu'ils nouent et dénouent à l'envi, ou s'élever à la force de leur bras au centre du cordier sous des jeux de lumière qui captent toute l'attention, générant des instants performatifs purement plastiques .

Dans Erreurs salvatrices, conçu en trois sets d'une heure environ, s'empare des textes d'Heiner Müller, des monologues sélectionnés, dit-il, « pour leur force dramatique et philosophique, mais également dans la perspective de les confier à  » : amplifiée et parfois traitée en direct, la voix du comédien est rugueuse, éruptive, hurlée parfois et parcourant un ambitus impressionnant. Entre réflexion et déraison, les textes de Müller sont envisagés comme de véritables partitions sonores (avec leur tempo, leurs inflexions mélodiques, leurs mots percussifs et leur allure répétitive) par l'acteur, presque vocaliste, qui leur donne chair et vie, dans la surenchère sonore et l'expressionnisme d'un Artaud. sillonne le plateau, micro en main, investissant parfois l'espace des danseurs. Il apparaît sur l'écran, à sa machine à écrire (elle-même très sonore), ou au piano, des situations qui modifient sans cesse l'angle de vue et d'écoute et brouillent nos repères spatio-temporels.

L'expérience sonore est immersive, à la faveur d'un dispositif d'écoute spatialisé et la présence sur le pourtour de la salle de « monolithes » associant la production de matières lumineuses à la génération de sons : une surface réfléchissante, une plaque vibrante, un ventilateur, des lyres à haut-parleurs : autant d'objets sonores et sources lumineuses contrôlés à distance (confiés à Thomas Mirgaine), qui intègrent la dramaturgie (fumigènes et rafales de vent aidant) et dessinent un itinéraire dans ce labyrinthe du rêve qui convie tous nos sens. Le prologue est musclé, procédant par impacts sonores et effets stroboscopiques qui décuplent l'agression ; avant que la voix n'apparaisse, souveraine, sous une musique de drones et nappes sonores que l'électronique live de modèle dans une perspective formelle ouverte et mouvante.

On ne sort pas indemne de ce spectacle à haut voltage, pour peu que l'on enchaîne les trois sets dans la même soirée : l'expérience est intense où l'étrangeté de l'environnement audiovisuel ajoute au trouble et à l'inconfort dans lequel nous plonge les textes de Müller, un écrivain qui ne voulait pas, disait-il, que les personnes sortent heureuses de ses pièces !

Crédit photographique : © Christophe Raynaud de Lage

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