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La cérémonie des Carols 2020 du chœur du King’s College de Cambridge

Pour la première fois, le traditionnel office des Nine Lessons and and Carols on Christmas Eve en la King's Chapel de Cambridge n'a pu avoir lieu, l'an dernier, qu'en absence de tout public, et moyennant une retransmission différée. Un an plus tard, en paraît la bande son.

Dans le dernier quart du XIXᵉ siècle, l'archevêque Edward White Benson eut l'idée de mêler tradition chorale populaire ou savante avec l'office d'adoration de la Veillée de Noël et mena à bien le premier service sacré des Lessons and Carols en la cathédrale de Truro (en Cornouailles) à la Noël 1880. Autrement dit, il fit ponctuer les lectures extraites des deux Testaments – depuis la chute d'Adam narrée dans le livre de la Genèse, à la Nativité de Jésus selon les Évangiles, en passant par les prophéties d'Isaïe – de divers chants de Noël traditionnels anglais. Le célèbre King's College de Cambridge et son prestigieux chœur récupérèrent, parmi d'autres institutions, en quelque sorte la tradition et instituèrent sur place ce cérémonial à l'issue de la grande Guerre ; elle est reprise chaque année, la veille de Noël à quinze heures précises ; l'office est radiodiffusé depuis 1928 par la BBC et retransmis en direct en télévision depuis 1954.

Pour l'édition de la Noël 2020, la pandémie de Covid-19 contraignit l'institution à quelques aménagements. Tout d'abord, la cérémonie devait se dérouler pour la première fois depuis un siècle sans public et fut enregistrée pour une diffusion différée, afin de respecter au mieux, comme le montre quelques photos du livret, les normes sanitaires et la distanciation entre choristes dans la chapelle déserte. L'apprentissage et les répétitions (générales ou par pupitres) durent être pareillement aménagées dans le respect strict du confinement, et par télétravail, de sorte que ne put être honorée la commande et la création mondiale d'une pièce chorale inédite, seul récent ajout (depuis 1983) au cérémonial séculaire. A défaut ce fut The Angel Gabriel, de Philipp Moore (né en 1943), commandité pour les Lessons de 2019 qui fut repris : une œuvre bien conçue, solide dans son harmonie néo-modale, mais à vrai dire sans grands relief et originalité en dehors de son envolée finale (légèrement) dissonante.

Le présent disque est en quelque sorte la « bande-son » de ce si particulier millésime, enrichie de quatre plages enregistrées à posteriori en juin 2021 : Angels, from the realms of glory, adaptation anglaise signée Réginald Jacques du célèbre Noël lorrain « Les anges dans nos campagnes », An Old Carol de Roger Quilter, très célèbre en Grande-Bretagne, le Thou who was rich beyond all splendour adaptation en carol anglais d'une chanson à boire française par Charles Herbert Kitson, et In the bleak midwinter hymne anglican de Gustav Holst, revu et chromatiquement corrigé par Mack Wilberg, lequel carol donne son titre au présent album.

Tout ce cérémonial, évènement culturel annuel majeur du prestigieux King's college choir est très codifié : l'ordre le choix et l'attribution des lectures bibliques à neuf participants désignés selon des règles strictes sont immuables. De même l'office est traditionnellement introduit par le chant processionnel Once in royal David's city de Henry Gauntlett (arrangé et augmenté au fil des générations de chefs de chœur), et se referme avant le Hark ! the herald angels sing à l'orgue, adaptation à un texte anglican de Charles Wesley d'un hymne (originellement dédié en sa version allemande à la mémoire de… Gutenberg) signé Felix Mendelssohn. Les autres plages musicales varient heureusement en fonction des ans et des humeurs et sont, moyennant des arrangements et de nouveaux textes en anglais – pour certaines, importées d'Allemagne ou de France.

L'on retrouve, au fil du présent album, par une captation globale très fidèle, l'ambiance acoustique à la fois feutrée et réverbérée de la célèbre Chapel, telle que nous la connaissons depuis les enregistrements légendaires signés Sir David Willcoks, Sir Philipp Ledger, ou Stephen Cleobury. De même, malgré un incessant renouvellement des pupitres de très jeunes garçons soprani (entre neuf et treize ans selon la mue), persiste cette inimitable sonorité globale du chœur, avec ces trebles angéliques. Individuellement, les quelques solistes soprani mis en exergue ne peuvent faire oublier les interventions jadis autrement convaincantes et envoûtantes d'un Roy Goodman, par exemple. Toutefois, , directeur musical depuis bientôt trois ans de l'institution, à la succession de Stephen Cleobury, brutalement décédé en 2019, semble apporter à la tradition locale un certain renouveau par une approche plus rhétorique et moins strictement planante des textes musicaux : par exemple, la plage 3 (How shall i fitly meet thee ?), traduction anglicane du choral associé au Temps de la Passion – figurant tel quel dans la première cantate de l'oratorio de Noël de J.S. Bach- trouve ici une traduction musicale attentive aux intentions textuelles. Il y a ailleurs aussi cette approche fruitée de l'ensemble des noëls populaires, en particulier le court mais splendide Sussex Carol arrangé par Ralph Vaughan Williams ou dans ces adaptations anglaises de chants continentaux associés à la période de la Nativité, tel l'Adeste Fideles de la plage 10, dans l'arrangement bien connu signé David Willcocks ; le même thème sert d'ailleurs de trame à l'improvisation composée en 2005 par Francis Pott pour la sortie de l'office, page très traditionnelle mais très bien défendue par l'organiste titulaire .

Mais détournée de son contexte originel, à savoir l'encadrement d'une cérémonie solennelle, privée des fastes de l'image télévisuelle (avec ce splendide ensemble de vitraux d'origine de la Chapel) ou du contexte sacré séminal tel qu'on doit certainement l'appréhender sur place, une certaine monotonie se fait jour par l'enchainement rapide de ces plages, perles certes émouvantes, considérées individuellement, harmonisées avec piment et bon goût, mais avouons-le un peu interchangeables lors d'une écoute continue. Bref, voilà le type même de disque que l'on acquiert pour l'écouter un peu distraitement une fois l'an quelque part entre l'Avent et l'Épiphanie. Un enregistrement joli et policé, un peu trop sucré, bien chanté, réalisé et enregistré, mais sans doute pas indispensable de notre côté du Channel.

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