- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Nicolas Horvath en équilibre sur le fil du monde

Ce disque présente la nouvelle version longue d'une œuvre de 1992, qui justifie l'ajout du « XL » dans son titre, créée par son destinataire le 1er octobre 2020 à Strasbourg et enregistrée ici pour la première fois.

Le principe est simple, mais l'expérience est profonde et méditative. Tout est dit dans le titre, Music for Piano with Slow Sweep Pure Wave Oscillators XL. Une trame, constituée de deux ondes sinusoïdales synthétiques en mouvement, se croisant sur quatre octaves, assure le fil conducteur de l'œuvre d', sur lequel le compositeur place soigneusement des notes de piano qui génèrent des battements acoustiques par leurs interactions avec les oscillateurs. Pour qui accepte de s'y plonger, la trame électronique finit vite par disparaître au profit des seuls croisements de timbres et de leurs effets singuliers, qui focalisent l'attention, offrant un nouvel univers sonore tout entier.

Tout au long de sa vie, le compositeur (1931-2021), qui vient de s'éteindre le 1er décembre, n'a cessé d'expérimenter les phénomènes vibratoires et l'acoustique des lieux et des objets au travers de nombreux concerts-performances. Il a plusieurs fois utilisé le piano dans ses dispositifs.

Le phénomène des battements acoustiques est une particularité liée à notre oreille qui, lorsque deux sons aux fréquences très proches sont joués simultanément, fait apparaître un battement rythmique égal à la différence entre leurs deux fréquences (par exemple, si la différence est de 4 Hz, l'oreille entend quatre battements par secondes), excluant la plénitude d'une fusion sonore. Sur les notes de piano égrainées tout au long de l'œuvre, cet effet semble de plus jouer l'action d'un filtre. L'instrument paraît désaccordé par moments, ou avoir soudain perdu tous ses graves et résonner d'une voix aigrelette. De plus, cette pièce consacre l'impossible mariage entre le sustain infini permis par l'électronique et la brièveté sonore percussive de marteaux frappants une corde.

La précision des intensités, du placement et de la durée des notes de piano concourent à ce que les effets s'amplifient et se développent. Si Lucier a bien prévu la temporalité de l'apparition de ces notes, il laisse une marge de liberté quant à leur émission. En parfait connaisseur de la musique minimaliste et expérimentale, le pianiste maîtrise ces phénomènes et leur donne toute leur saveur au fil de l'œuvre. Ce morceau hypnotique est enregistré en une seule prise, sans aucun montage ni mixage.

Il faut une concentration extrême pour se mettre au service d'une telle partition, où la rareté des éléments ne présage en rien de la variété ni de l'intensité des couleurs. Il est nécessaire aussi d'acquérir une autre forme de virtuosité, loin des traits fulgurants et brillants et des sauts de registres : la virtuosité du timbre. À l'évidence, ce sont des qualités que possède pour nous accompagner loin, très loin dans cette immersion.

(Visited 480 times, 1 visits today)