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Philippe Entremont et ses amis dans deux quatuors à clavier de Mozart

, patriarche du piano français, revient à Mozart et à la musique de chambre pour livrer, entouré de quelques amis, sa vision des deux quatuors à clavier du maître autrichien : une entreprise plus sympathique par ses aspects humains que par le résultat purement musical.

Dans un très bref texte de présentation, évoque sa passion pour la musique de chambre depuis ses années d'apprentissage, et se remémore son premier concert public à Reims en compagnie du quatuor paternel voici trois quarts de siècle : à peine âgé de dix ans, il proposait en première lecture le Quatuor à clavier KV 493 de . De sorte que le présent enregistrement referme quelque peu la boucle d'un impressionnant et appréciable parcours musical surtout outre-Atlantique.

L'on retrouve ici un pianiste toujours assez fringant mais beaucoup plus prudent qu'autrefois : les finals des deux œuvres sont donnés à un train de sénateur, avec quelques fléchissements de tempi et ruptures discursives pour le moins surprenantes, dans une ambiance corsetée éloignée de l'idéal libertaire mozartien. soucieux du détail et du cantabile se révèle bien plus convaincant au fil des deux mouvements lents : il offre en particulier un larghetto du Quatuor en mi bémol pianistiquement assumé et musicalement remarquable de poésie pudique.

Cette démarche, celle d'un vieux lion du clavier s'offrant le luxe et le plaisir de la musique de chambre, remettant sur le métier quelques œuvres phares du répertoire, rappelle celle du grand , qui à quatre-vingt quatre ans passés en compagnie des jeunes loups du , livrait il y a un demi-siècle, une vision creusée, exaltée, marmoréenne et toujours de référence de ces mêmes quatuors (RCA) avec le souci constant de l'équilibre dialogique, d'une vision unitaire et d'un partenariat d'égal à égal pleinement assumé.

C'est précisément cette vision d'ensemble, cette cohérence interprétative, cet esprit d'entité sonore, qui manque aux présentes lectures, bien littérales. Ce quatuor à clavier fût-il même baptisé « Fontainebleau » eu égard au lieu de captation n'est que de pure circonstance. Il manque à l'ensemble cette cohésion, ce commitment, assurant l'équilibre du discours, la gestion des contrastes, la tension des courbes jusqu'à leur extinction.

La véhémence et la sourde angoisse du premier mouvement du Quatuor en sol mineur renvoie pourtant à l'esthétique d'un concerto de chambre, et les violon, alto et violoncelle doivent presque figurer un orchestre miniature, mais présentement, le manque de cohérence de force et de conviction des cordes confère à cet exorde si péremptoire une allure ici presque chagrine.

Ailleurs, la finesse des échanges du Quatuor en mi bémol suppose un étroit et complice échange entre clavier et cordes, ici oblitéré par quelques menues hésitations et par une curieuse perspective sonore. Car la prise de son fausse aussi la donne : dans une acoustique sèche et assez impitoyable, le clavier, en primus inter pares, est trop privilégié – choix du directeur de l'enregistrement ou du pianiste ? – campé à l'avant-plan et dominant les échanges plutôt que d'y participer. Les partenaires n'offrent que d'assez pâles répliques, standardisées, voire parfois maladroites (exposition de l‘Allegro du KV 478). La violoniste Klara Fleider, éminente pédagogue, et professeur au Mozarteum de Salzbourg fait montre ici d'un jeu assez pincé dans l'aigu et d'une sonorité parfois gercée et peu élégante. L'honnête et le violoncelliste Christophe Pantillon sont d'avantage convaincants dans leurs interventions plus ponctuelles mais toujours très à-propos et dans le soutien harmonique de l'ensemble.

En bref, voici une sympathique mais assez pâle version de ces deux Quatuors à clavier de Wolfgang Mozart. Outre à la surprenante rencontre de Rubinstein et des Guarneri déjà mentionnée, nous retournerons pour le couplage des deux œuvres aux références signées par le Beaux-Arts trio en compagnie de Bruno Giuranna (Decca), d'une approche instrumentale insigne et d'une conception très solidement classique, ou du Mozart Piano quartet (MD+G) dans une vision plus légère et stylistiquement renouvelée, sans oublier pour le seul Quatuor en sol mineur KV 478, l'engagement presque expérimental de Leif Ove Andsnes et ses amis (double album Mozart 1785 paru chez Sony), ou pour le Quatuor KV 493 la très viennoise rencontre au sommet entre Alfred Brendel et trois membres du quatuor Alban Berg (Warner). La discographie demeure inchangée.

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