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Les tourments amoureux de Gesualdo par La Guilde des Mercenaires

Pour cette version inédite du Sesto Libro de madrigaux, et ses Mercenaires mélangent voix et instruments à vent dans la polyphonie de Gesualdo, à l'origine purement vocale.

La vie de , Prince de Venosa, est digne d'un roman. Grand aristocrate de Campanie, neveu de Charles Borromée, il reçoit dans sa jeunesse les conseils de Giovanni de Macque, qui l'initie à la polyphonie franco-flamande. Mais un crime d'honneur transforme le noble musicien en un héros romanesque dont l'histoire inspirera de nombreux poètes et romanciers : en 1590, il assassine sa femme et l'amant de celle-ci, surpris en flagrant délit d'adultère. Quittant Naples, il se retire sur ses terres. Uni à la famille d'Este par son remariage, il fréquente la cour de Ferrare où il découvre, sous l'influence de Luzzasco Luzzaschi, un style musical plus moderne qui tintera ses madrigaux de chromatismes hardis. C'est le cas dans le Livre VI enregistré ici, qui propose une polyphonie vocale dont la forme reste conventionnelle mais dont les extravagances harmoniques frappent l'oreille, héritières de la musica reservata ferraraise. Les violents contrastes et les ruptures rhétoriques qui soulignent le sens des mots d'un dolorisme exacerbé engendrent chez l'auditeur un véritable trouble et pourraient rendre cette musique difficilement accessible à la première audition. L'âme inquiète de Gesualdo nous entraîne fort loin par l'étrangeté de son écriture.

L'originalité de la version instrumentalisée que propose pour les madrigaux du Livre VI fait de cet enregistrement une première mondiale, dernier opus du label Lanvellec Editions. Cornets, trombones, basson et orgue se mêlent ici aux voix des cinq chanteurs en plusieurs configurations : instruments colla parte doublant les voix, un ou plusieurs instruments remplaçant les parties vocales, enfin certains madrigaux joués en version instrumentale pure. Cette dernière configuration est très convaincante, comme dans l'amusant Ardita zanzaretta ou le virevoltant Volan quasi farfalle, les seuls madrigaux au ton léger dans le Livre VI. précise dans le livret que le mélange voix et instruments à vent est une pratique courante dans la polyphonie à l'époque, dans une configuration de double chœur, l'orgue liant le chœur vocal et le chœur instrumental. Ici, pour chaque madrigal, il a cherché la meilleure combinaison possible entre voix et instruments, proposant une palette de timbres très variée. Mais si l'orgue et les vents se mélangent parfaitement aux voix, il n'en est pas de même pour le clavecin, dont les rares interventions paraissent un peu incongrues, tant il reste associé à la réalisation de la basse continue dans la seconda prattica, totalement étrangère à l'écriture polyphonique de Gesualdo.

Particulièrement convaincantes sont les pièces où une voix soliste se détache sur la polyphonie instrumentale : la voix de dessus de dans O dolce mio tesoro, et la voix de basse de dans Quel no crudel. Les interprètes, chanteurs comme instrumentistes, sont tous excellents dans ce répertoire où l'importance portée au texte exige une articulation parfaite. Et le sommet d'expressivité qu'est le madrigal Moro, lasso prend ici un relief qui rend à la perfection les audaces chromatiques du texte. Par ses choix de couleurs variées, Adrien Mabire renouvelle judicieusement l'écoute de cette véritable dramaturgie poétique, dans la continuité du très réussi deuxième disque de La Guilde des Mercenaires.

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