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Les divins égarements de Hans Knappertsbusch

À la suite de deux volumes dédiés à dirigeant les philharmoniques de Vienne et de Berlin, voici trois autres coffrets qui complètent l'édition Scribendum.

Munich, tout d'abord. On remarque l'absence de plusieurs gravures : le Scherzo de Pfitzner, Airs et danses anciens de Respighi, le Prélude de Parsifal, la première des deux Siegfried Idyll de Wagner, enregistrée en 1962, ainsi que la Sérénade italienne de Wolf. Cinq compositeurs sont représentés, l'alpha et l'omega pour ainsi dire de Knappertsbusch. De ce coffret, les meilleurs jalons sont incontestablement la Symphonie n° 7 de Beethoven (splendide lecture de 1948), la conception grandiose de la Symphonie n° 3 de Bruckner ainsi que les archives provenant de Westminster et en stéréo (Symphonie n° 8 de Bruckner et ouvertures de Wagner captées en 1963). Intéressante lecture de la Symphonie n° 3 de Beethoven dont on préfèrera toutefois les moutures avec Berlin (1943) et Vienne (1962). Mettons de côté un Don Quichotte de Strauss dont on devine l'élégance, mais d'une précarité de son étonnante en 1958. Constat identique avec Mort et Transfiguration dont la captation et les bruits insupportables du public gâchent l'écoute. Evitons tout autant la Symphonie n° 2 de Brahms dont les deux enregistrements présentés eurent lieu à cinq jours d'intervalles, en octobre 1956, le premier probablement à Munich et le second, en tournée, à Ascona. Lorsque les cuivres ne sont pas à la peine et que les cordes ne frisent l'épuisement, c'est la mise en place qui laisse plus qu'à désirer jusque dans de faux départs. À côté de moments magnifiques, les baisses de tension, les pertes de contrôle rythmiques sont légion notamment dans les mouvements lents.

Changement de décor avec les “Staatsorchester”, ces orchestres “d'état” de Bavière, Berlin et Dresde. Nous retrouvons la Symphonie n° 2 de Brahms à Dresde, autrement plus assurée qu'à Munich. Une vraie construction, une concentration de tous les instants et une conception forte : voilà une lecture gorgée d'héroïsme avec des timbales, certes, envahissantes. Moins probante, la lecture de la Symphonie n° 3 du même compositeur force le trait, devenant une sorte d'opéra sans parole. Il faut un temps d'adaptation (ou pas) pour entrer dans cet univers déjà brucknérien… Idem pour la Symphonie n° 8 de Beethoven d'une pesanteur ahurissante. Cela contraste pour le moins avec la finesse des valses, marches et polkas viennoises réunies en 1955. Notons que les Contes de la Forêt viennoise de Strauss mettent en valeur le cymbaliste Rudi Knabl. Trois symphonies de Bruckner (toujours, hélas, dans les éditions Schalk) sont à l'honneur avec l'Orchestre d'Etat de Bavière. Splendide Symphonie n° 3 (parue chez Orféo), vibrante, tonique et dramatique de bout en bout. Knappertsbusch foudroie les récalcitrants du souffle de sa respiration et de son pied qui, rageusement, rappelle à l'ordre les retardataires. Il morcelle de silences abrupts la verticalité de ces partitions dont les scherzos sont d'une énergie terrassante. Les Symphonies n° 8 et n° 9 débordent de vie sans porter un “message spirituel” comme le firent Furtwängler et Jochum. Notons enfin que les prises de son respectives de 1954, 1955 et 1958 furent réalisées par la Radio de Bavière. Leur dynamique demeure inférieure à celles des concerts qui n'avaient pas pour vocation une retransmission radiophonique. Il n'était alors pas question de saturer les récepteurs des particuliers. La Symphonie Inachevée de Schubert avec la même phalange serait l'une des grandes lectures historiques sans un son aussi étriqué et un public insupportable. Contestable sur le plan musical, la Symphonie n° 4 de Schumann (1954) multiplie les effets, les ralentendos mielleux. Difficile de ne pas revenir, à la même époque, à Cantelli, Furtwängler et Szell. Les timbres et le diapason de la Symphonie n° 7 de Beethoven captée en 1927 avec l'Opéra d'Etat de Berlin font d'autant plus sursauter que la réalisation sonore est plus que correcte pour l'époque ! La durée des gravures interdisait alors toute digression, y compris dans l'Allegretto, plutôt Andante dans le cas présent. La captation acoustique de la Symphonie n° 92 de Haydn datée de 1925 est, en revanche… exotique ! Cela étant, la Symphonie n° 39 de Mozart enregistrée en 1929 avec l'Orchestre de l'Opéra d'Etat de Berlin apparaît plus “audible” que bien des œuvres, avec Vienne durant la guerre.

Achevons le périple avec les orchestres dits “de légende”. Le Symphonique de la Radio de Cologne, tout d'abord, avec une belle Symphonie n° 7 de Bruckner, gorgée de passion et d'énergie, mais hélas dans une monophonie bien plate (1963 !). Préférons-lui la version de Vienne pourtant antérieure (1949). La Symphonie n° 3 avec le Symphonique de la NDR (1963) est d'une meilleure facture bien que le témoignage viennois demeure plus recommandable (Decca, 1954). Deux symphonies n° 4 de Brahms sont en concurrence, la première de 1952, en concert à Brème, et la seconde, au RSO de Cologne, dix ans plus tard. Cette dernière est d'un élan plus compact, d'un lyrisme fou (quel Allegro giocoso !) qui jaillit avec une violence inouïe. La Symphonie n° 2 de Brahms avec la Suisse Romande, médiocre copie de 78 tours, déçoit. Avec Brème, des moments d'un lyrisme sublime succèdent à des tunnels ou des excès de trivialité. La Symphonie n° 3 de Brahms est étirée au maximum et le vibrato du symphonique de la Radio de Stuttgart fait sourire, en 1963, quand on songe à la direction “ohne Vibrato” imposée par Roger Norrington, à la tête de la phalange, dès 1988… Cela étant, les Variations Haydn du même Brahms sont d'une noblesse tragique splendide. Quel art du chant ! Les Symphonies n° 2 et n° 5 de Beethoven sont d'une pesanteur difficilement supportable. Toutefois, avec Knappertsbusch, nous ne sommes jamais à l'abri des surprises. Ainsi, la Symphonie n° 3 “Héroïque” avec Brème est d'une vigueur enthousiasmante. Peut-être la plus belle des quatre lectures avec celle de Berlin (1943) ! Les ouvertures et préludes wagnériens sont d'une qualité technique très diverses : médiocre avec la Tonhalle de Zurich, plus acceptable avec la Suisse Romande. Passionnant, en revanche, est l'enregistrement du 24 mars 1952 de l'orchestre de la NDR : Siegfried Idyll, le Prélude et Mort de Tristan et Isolde (avec Christa Ludwig, proprement géniale), les préludes des actes I et III des Maîtres chanteurs parus notamment chez Tahra. Ce disque, à lui seul, mériterait l'acquisition du coffret. L'engagement théâtral du chef, ses ralentendos jusqu'à… l'inexcusable : rien ne doit altérer la passion et des atmosphères envoûtantes qui se créent dans l'instant. Trois coffrets finalement inclassables.

On ne sait si l'éditeur a prévu de consacrer d'autres parutions dévolues au répertoire lyrique ou aux concertos, que le chef d'orchestre, disparu en 1965, programma régulièrement.

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