- ResMusica - https://www.resmusica.com -

La musicienne Marie-Antoinette selon Patrick Barbier

Un ouvrage fourni, agréable à lire, et parfaitement mené pour alimenter l'intérêt au fil de la lecture… Ces éléments font du dernier ouvrage de , et la musique, un intéressant complément aux autres études menées sur le règne de Louis XVI.

Comme toute démarche musicologique aboutie, délimite avec précision, dès son avant-propos, l'objet de cet écrit intitulé « et la musique ». L'ouvrage aborde la pratique musicale d'une amatrice éclairée, son influence et son soutien en faveur d'un internationalisme musical novateur renouvelant une tradition française datant de Louis XIV ; mais également sa contribution à la création de l'École royale de chant et de déclamation qui amènera à l'instauration d'un Conservatoire de musique à Paris, son impact sur le développement du rayonnement des facteurs et luthiers français et sur l'évolution technique des instruments qu'elle pratiquait tels que la harpe et le pianoforte. De « la petite Antoine » à « l'Autrichienne » jusqu'à « la cy-devant reine », l'auteur déroule avec un attachement certain pour son héroïne, la vie d'une Reine insouciante ne cherchant à répondre qu'à son seul plaisir (un plaisir sincère et non mondain).

Le lecteur appréciera certainement l'honnêteté de l'auteur qui sait relativiser l'impact musical de ce célèbre personnage de l'Histoire de France, et démystifier quelques extravagances. Sa faible formation musicale est ainsi passée au crible, son approche artistique innocente est affirmée sans équivoque. De même son rendez-vous raté avec Wolfgang Amadeus Mozart lorsque celui-ci passa six mois à Paris alors que était reine, et cela malgré une rencontre furtive entre les deux enfants seize ans auparavant au château de Schönbrunn (il est amusant de les chercher tous les deux dans la salle sur la première iconographie proposée parmi la trentaine d'images en couleur)… Cette démarche trouve son apothéose lors de l'arrivée de Gluck à Paris, n'hésitant pas à contredire le fait que celle-ci se soit déroulée non « grâce à l'invitation de Marie-Antoinette », mais en raison « d'un ensemble de circonstances au cours desquelles la dauphine va savoir saisir sa chance ».

Cette honnêteté se traduit aussi par l'affirmation de Patrick Barbier de ne pas tout savoir sur les éléments étudiés : le contenu des cours de musique de la Reine avec Joseph Hinner ne fait l'objet d'aucun écrit à ce jour ; il existe peu de données concernant ses harpes personnelles (« Il est étonnant (et assez frustrant) de constater que malgré le rôle qu'elle a joué dans la popularisation de cet instrument, […] on sait très peu de choses sur ses instruments personnels. Les sources manquent. », p. 98) ; l'attribution des pianos Erard de 1777 à 1788, et particulièrement ceux destinés à la Reine, est difficile à identifier en raison des archives de cette maison disparues durant toute cette période… L'auteur aurait pu choisir d'éluder ces sujets pour ne pas en dévoiler les limites : il choisit plutôt de mettre le lecteur face à cette réalité.

Mais ce relativisme face au rôle d'une Reine en faveur de l'effervescence de la vie musicale parisienne (plus que versaillaise !), laisse parfois penser que Marie-Antoinette n'est finalement qu'un prétexte pour aborder certains incontournables de la création artistique de l'époque. Ainsi, malgré le peu d'intérêt que Marie-Antoinette lui porte, le Concert Spirituel est au centre du discours durant une vingtaine de pages (p. 330-348). Cette impression surgit également lorsque l'auteur détaille minutieusement l'évolution de la tragédie lyrique en la personne de Gluck (p.159-168) même si le soutien indéfectible de la reine envers ce compositeur ne rend pas ce passage hors de propos ; idem pour la description méthodique de l'Opéra Royal où Patrick Barbier explicite la singularité architecturale et acoustique avec de nombreux détails. Mais cette impression est à chaque fois rapidement estompée par le lien que fait l'auteur avec son sujet principal, probablement conscient du risque de perdre le lecteur dans des chemins de traverse, mais justifiant ces incartades par la portée historique et musicale de chaque sujet travaillé.

Sur la base de cette solidité intellectuelle, cette étude a l'avantage de pouvoir se lire comme un roman. Patrick Barbier, s'éloignant avec mesure des usages de forme de ce type d'exercice, rend son texte et son contenu accessible à tous, modernisant son sujet en évoquant « Paris by night » lors des sorties parisiennes de la princesse (p. 68), ou la sorte de « harpomania » rattachée à l'innovation technique de l'instrument (p. 95) ; le portrait des sœurs Elisabeth et Amélie « toutes deux jolies comme un cœur » et la troupe des Seigneurs prenant « la grosse tête » (p. 135) renforcent quant à eux la forme du récit choisie ; deux exemples parmi quelques autres.

(Visited 714 times, 1 visits today)