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Bernd Alois Zimmermann à l’honneur chez bastille musique

Deux captations live à la Philharmonie de Cologne figurent dans ce nouvel album (n°18) du label bastille musique : deux œuvres rares du compositeur allemand interprétées par la WDR Sinfonieorchester sous la direction d'.

C'est dans le contexte de l'après-guerre, en 1951, alors que Cologne est encore sous les décombres, que Alois Zimmermann conçoit sa Sinfonie in einem Satz (Symphonie en un mouvement), témoin de cette « décharge apocalyptique » qui a secoué l'Europe durant la Seconde Guerre mondiale. Commande de la Radio de Cologne, elle est créée en 1952 et peu plébiscitée par un auditoire qui en critique le pathos et le sujet. Sur les conseils du chef Hans Rosbaud, Zimmermann révise sa partition, supprimant notamment la partie d'orgue dont la présence en avait choqué certains. C'est la version originale de 1951, avec l'orgue, que réhabilite, avec son engagement militant, la WDR et . L'œuvre est puissante, aux tensions expressionnistes et aux déchaînements bruyants qui affirment l'indépendance et la pensée libre du compositeur. Elle est conçue par séquences ménageant d'amples contrastes de volume et de dynamique : mystère et surgissements, impacts percussifs, déferlement des peaux et obsession de la marche ponctuée par les timbales. Un thème rampant aux cordes graves, métaphore de la désolation, traverse toute la symphonie qui s'achève dans l'effervescence des tam-tam et un finale orchestral quasi hollywoodien retransmis dans les meilleures conditions d'écoute.

On salue l'excellente initiative du label bastille musique qui grave, au côté de la Sinfonie in einem Satz, cette Vocalsinfonie – Die Soldaten, une partition dont il nous révèle l'existence et qui permet de plonger dans l'univers d'un opéra dont les productions sont toujours un événement dans le monde lyrique : parce que l'ouvrage est complexe et réclame notamment un orchestre pléthorique (et nombre de supplémentaires) ainsi que des chanteurs chevronnés. Vocalsinfonie – Die Soldaten a été créée partiellement en 1963 (trois mouvements sur six), deux ans avant la création de l'opéra proprement dit. Déclaré à l'époque injouable voire irreprésentable – Zimmermann envisageant certaines scènes sous différentes temporalités simultanées – le manuscrit du compositeur est en effet rejeté par l'Opéra de Cologne. C'est alors que Zimmermann a l'idée de cette suite de concert réunissant des extraits des deux premiers actes auxquels il ajoute un Prélude et un Intermezzo. Le Prélude est d'ailleurs devenu une page mythique, conçu « dans un rythme de fer », écrit Zimmermann sur la partition : la décharge orchestrale d'un ensemble en furie qui sature l'espace, avec les scansions des timbales, celles-là mêmes que l'on signalait dans la Sinfonie in einem Satz. C'est en faisant exploser les moyens que Zimmermann l'utopique entend « briser toutes les servitudes ».

L'Interlude, avec ses citations et la présence de l'orgue, est non moins saisissant, témoin de cette aptitude de Zimmermann à associer des éléments disparates. Comme Alban Berg dans Wozzeck, dont le compositeur est tout imprégné lorsqu'il compose son opéra, chaque scène emprunte un moule formel classique, Ricercari, Nocturno, Capriccio, Corale e Ciaccona. L'écriture est sérielle, qui modèle même le profil des voix. Zimmermann cisèle une orchestration fluide et très colorée favorisant les relais de timbre et les solos instrumentaux. Les lignes vocales très exigeantes sont inscrites dans le flux musical tout en préservant une parfaite intelligibilité du texte. Avec une aisance dans tous les registres de son soprano, /Marie possède cette diction claire et l'agilité/tonicité d'une voix qui passe naturellement de la Sprechstimme (voix parlée) au chant. À ses côtés, le ténor /Desportes, sournois et pernicieux à souhait, comme le capitaine dans Wozzeck, fait valoir un timbre magnifiquement homogène et dûment projeté. /Wesener est une basse veloutée à l'articulation exemplaire : une qualité que partage le reste de la production, le baryton Hans Christoph Begeman/Stolzius et les mères respectives/ et , autant d'interprètes rompus à la pluralité des techniques vocales utilisées par Zimmermann. Soulignons enfin la justesse des équilibres entre voix et orchestre, dans cet enregistrement live, rappelons-le, d'une qualité irréprochable.

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