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Ersan Mondtag met en scène Antikrist de Langgaard à Berlin

Composé à partir de 1921 mais créé seulement en 1980, Antikrist de retrouve cette saison une nouvelle production d' avec l'entrée de l'ouvrage au répertoire du Deutsche Oper Berlin.


Véritable ovni musical, Rued Langgard achève en 1918 Sfærernes Musik (Musique des Sphères), pour soprano, chœur et orchestre, dans laquelle il conclut par la figure de l'antéchrist. Très marqué par la guerre, le compositeur s'attèle trois ans plus tard à son unique opéra, Antikrist, basé sur un livret écrit par lui-même sans flux narratif précis. La première version achevée en 1923 est proposée à l'Opéra Royal Danois, qui le refuse, de même qu'il refusera la seconde mouture, achevée en 1930. Mise de côté, l'œuvre apparaît enfin en 1980 grâce à Michel Schønwandt, puis est enregistrée pour EMI en 1988 par Ole Schmidt, avant d'être enfin créée scéniquement en 1999 à Innsbruck, et redonnée dans une production danoise en 2002, enregistrée en audio et vidéo pour Dacapo.

En un prologue et deux actes de trois tableaux chacun, Antikrist tente d'imager une humanité dépravée, de laquelle Lucifer aurait ressorti l'antéchrist des abysses. L'opéra développe la décadence de la société (tableau I), la mégalomanie (tableau II), le désespoir (tableau III), la luxure (tableau IV), l'anarchie qui conduit au jugement dernier (tableau V). Pourtant, le tableau final offre un ultime espoir, puisque Lucifer, qui vient de se proclamer tout puissant à la place de Dieu, voit ce dernier détruire l'antéchrist et reprendre sa place, devant une population en prière.


De ce livret, le metteur en scène , l'un des artistes les plus intéressants de la scène actuelle berlinoise par ses productions théâtrales du Maxim Gorki Theater, tire une substance de la couleur et de la danse. Il assume s'inspirer du film Inception de Nolan, mais cela lui sert surtout à créer un monde incertain, dans lequel la réalité reste toujours limitée à la perception. Ainsi, l'ouverture débute sur une danse superbement chorégraphiée (Rob Fordeyn), dans laquelle les danseurs ressemblent à des toupies. Puis un dieu géant apparaît en haut de scène, nu et au visage du chanteur sur la scène, , déjà vu dans la récente production opératique de Mondtag, Der Silbersee de Weill à l'Opéra des Flandres. Lui aussi nu, le chanteur se différencie de la maquette géante par le fait que celle-ci porte un sexe féminin, en sorte d'origine du monde.

Dans un décor très coloré, qui n'est pas sans rappeler les peintures du Blaue Reiter ou certaines bande dessinées, et avec des costumes flashy collés à la peau créés par Annika Lu Hermann, habituels dans les mises en scène de Mondtag, l'action se développe avec l'entrée de l'Humeur Mystérieuse magnifique d' et de son écho porté par Valeriia Savinskaia, toutes deux de noir et blanc vêtues, à l'instar de la mezzo . Puis Lucifer apparait, sorte de Venom aux dents d'acier avec une coupe de troll magique des années 90. Excellemment chanté par d'une voix pleine et grave, il tente d'amener la population à lui, celle-ci puissamment chantée par le Chor der Deutschen Oper Berlin, toujours aussi impeccablement préparé par Jeremy Bines. se démarque en Bête Scarlatine, tandis qu' se montre parfaitement timbré pour Die Lüge et précis pour Der Hass.


Très visible par son costume tout droit sorti d'un tableau contemporain, Die große Hure (La grosse pute) trouve avec une artiste particulièrement engagée, qui parvient à donner au personnage une véritable sensualité, malgré les chaires dégoulinantes de l'habit et le sexe masculin d'abord accolé. Clemens Bieber devait compléter en Der Munt cette distribution, mais est annoncé covidé : , par chance à Berlin (sa production amstellodamoise du moment a été annulée pour cause de Covid-19) tient la partie vocale de Der Munt, en queue de pie, tandis qu'un acteur tient son rôle en scène. À ce plateau homogène et engagé s'accorde l'orchestre, lui aussi parfaitement adapté à porter le tissu symphonique magnifiquement écrit par Langgaard, ici valorisé par la direction ajustée de .

Crédits photographiques : © Thomas Aurin

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