Les talents conjugués de l'Orchestre national d'Île-de-France et de son ancien directeur général Marc-Olivier Dupin, d'un brillant comédien et de deux auteurs jeunesse, produisent un résultat hautement réjouissant.
Ceux qui fréquentent la rubrique ResBambini de ResMusica ont l'habitude des livres-disques dont la parution est le prolongement d'un spectacle ; le spectacle auquel il nous a été donné d'assister dans la grande salle de la Philharmonie de Paris procède du phénomène exactement inverse. Du livre au spectacle et non du spectacle au livre. En l'occurrence, le point de départ est la série des Émile parue chez Gallimard jeunesse, de savoureux albums de Ronan Badel et Vincent Cuvellier contant les histoires d'un petit garçon « vraiment très très très têtu. » Le texte est dit en direct par le comédien Guillaume Marquet, merveilleux conteur (sonorisé) incarnant tour à tour Émile et ses parents, en un style indirect libre qui contribue à la vivacité du discours et à l'efficacité de l'humour. Le conteur apporte volontiers une touche drôlatique mais sans jamais verser dans le ridicule ; il faut dire que les illustrations projetées derrière la scène sont elles-mêmes très parlantes ! Tirées directement des albums, elles subissent zooms, mouvements de caméras, enchaînements, découpage et recomposition, afin d'éviter la monotonie. Mais elles ne sont pas animées à proprement parler, et cela fonctionne.
Pas besoin en effet d'en faire plus, car, avec l'écran et le récitant, l'orchestre achève de remplir de contentement tous les présents, grands et petits. L'effectif est plutôt modeste (38 musiciens) mais tous les principaux pupitres sont représentés, et certains instruments habituellement réduits à la portion congrue sont bien mis en valeur : piccolo, contrebasson, harpe, clarinette basse… Marc-Olivier Dupin quant à lui n'en est pas à son coup d'essai en termes de mise en musique d'albums, en témoignent notamment ses collaborations récentes avec Johann Sfar. Sa musique, comme dans d'autres partitions pour la jeunesse telle Le mystère de l'écureuil bleu, est particulièrement efficace. Parfois illustrative, soulignant toujours d'une manière ou d'une autre la facétie du texte, elle donne volontiers dans l'humour et le pastiche. Chacune des dix histoires est comme un mouvement, d'une symphonie qui durerait une heure, avec ses thèmes et sa cohérence,. Car la musique est présente du début à la fin de chaque épisode, et c'est une véritable performance de la part de Guillaume Marquet comme du jeune chef allemand Georg Köhler d'arriver à coordonner texte parlé et musique, pour faire advenir les effets juste à propos.
À défaut d'être absorbés par l'orchestre (il y a bien assez à vivre avec les images et le texte), les jeunes spectateurs auront au moins vécu ici une expérience absolument irremplaçable, impossible à transcrire tout à fait sur un quelconque médium : celle du spectacle vivant.