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Gianandrea Noseda dirige le London Symphony Orchestra à la Philharmonie de Paris

A la tête du LSO, livre une interprétation poignante de la Symphonie n° 15 de Chostakovitch tandis que la pianiste rend un bel hommage à Beethoven avec le Concerto pour piano et orchestre n° 5 dit « L'empereur ».

Une mise en miroir toute en contraste qui fait sens car si l'ultime concerto pour piano de Beethoven regarde vers un avenir radieux en marquant l'entrée dans l'ère du grand concerto romantique, la dernière symphonie de Chostakovitch délivre, à contrario, un dernier regard passéiste sans illusion sur la vie du compositeur et la condition humaine.

Par l'ampleur de sa forme et la modernité de son propos le Concerto pour piano n° 5 de Beethoven (1809) constitue assurément le premier jalon d'une nouvelle voie conduisant à Brahms et Liszt. Gianadrea Noseda et nous en livre une lecture éminemment symbiotique débutant par un Allegro héroïque plus que solennel, partagé entre tutti fracassants et solos flamboyants, où l'ardeur du piano le dispute à la dimension symphonique de l'œuvre exaltée encore par la fougue de la direction. La grande variété du jeu pianistique qui parcourt tout l'ambitus du clavier, la richesse en nuances et l'à propos de l'interprétation haute en couleurs de maintiennent en permanence l'intérêt face à une phalange londonienne menée sur les chapeaux de roue par Noseda, sans que la dynamique soutenue n'affecte jamais la clarté du discours. L'Adagio déroule ensuite ses notes égrenées et ses trilles dans un climat méditatif chargé de poésie, plein de retenue sans pathos ni maniérisme. On y apprécie la sonorité des cordes autant que les contrechants du cor et de la petite harmonie qui soutiennent l'instrument soliste. L'Allegro final renoue avec la virtuosité dans un dialogue serré avec l'orchestre (cuivres et timbales) avant une coda martiale et triomphante. Le Cygne extrait du Carnaval des animaux de Saint-Saëns dans une transcription de Godowski assure un bis ardemment demandé.

Si l'ambiance de la première partie était plutôt celle d'une extraversion jubilatoire, le climat de la seconde est tout entier chargé de drame et de désolation dont s'imprègne l'interprétation du chef italien, magnifiquement servi par l'excellence, la compliance et la réactivité du LSO. Ambiguïté, tel semble être le maitre-mot de cette Symphonie n° 15, composée en 1971 par un compositeur malade et désabusé. Bien loin d'une fausse gaité trompeuse de surface, Noseda exploite à l'envi, et avec pertinence, la fibre dramatique de ce douloureux codicille. Flute, basson et cuivres ne parviennent à faire illusion dans l'Allegretto initial, pas plus que les collages empruntés à Rossini (Guillaume Tell), ni les évocations circassiennes ou martiales clamées par les cuivres…C'est une impression d'éclatement, de désarticulation qui prédomine dans ce phrasé chaotique d'où émergent des cordes virtuoses et inquiétantes, un dialogue acéré entre violon solo et piccolo et de tonitruantes timbales. L'Adagio suivant ne fait que conforter le malaise devant l'étalage d'une désolation amère ne laissant subsister que des bribes de musique sur un tempo extrêmement lent au bord de la rupture ; seuls semblent survivre les individualités dispersées : un choral funeste de cuivres, un solo élégiaque de violoncelle, un trombone glapissant, un violon esseulé, un crescendo comme un dernier sursaut d'humanité avant de laisser place à quelques notes suspendues du célesta d'un effet glaçant. L'ironie acide typiquement chostakovitchienne de l'Allegretto complète la donne lorsque le violon solo entame sa danse diabolique relayé par les saillies de la clarinette et des percussions. L'Adagio conclusif, annoncé par le leitmotiv wagnérien du « Sort » (tuba et cors), suivi d'une cantilène nostalgique du violon empruntée à Glinka et de différentes autocitations (Symphonie « Leningrad ») referme cette superbe interprétation sur une note douce-amère où Chostakovitch semble présager de sa mort en arrière-plan des sons. Magnifique !

Crédit photographique : © Mark Allan

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