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Bruno Mantovani ou l’énergie partagée

Dedans/dehors : c'est cet aller-retour, de la pensée intime du compositeur aux actions qu'il mène à l'extérieur, qui anime les échanges entre et dans ce livre d'entretiens où se révèle la personnalité du compositeur, sans qu'il ait à pousser la porte de son atelier.

« […] la composition est un acte léger, un acte joyeux, un plaisir simple et évident », nous dit Mantovani l'hédoniste. Doué mais travailleur, entretient une relation forte à la notion de plaisir qui lui fait aborder chacune de ses activités… avec un plaisir fou. C'est ainsi, dit-il, qu'il a dirigé durant neuf ans le Conservatoire de Paris, en menant les réformes qui allaient dans le sens du partage et de la collectivité et en créant des passerelles vers la création et l'improvisation, une discipline qu'il pratique lui-même. Précisons qu'il a été un des rares étudiants de composition qui soit passé par les classes d'histoire de la musique (Yves Gérard) et d'esthétique (Rémy Stricker). Il exigera, en tant que directeur du CNSM, que chaque étudiant en composition bénéficie d'une année d'initiation à l'histoire de la musique. Ce positionnement face à l'héritage – « je compose comme un musicologue », aime-t-il à dire -, et cette affection pour le répertoire traversent ses propos comme un Leitmotiv, voire une idée fixe : « Avoir une conscience historique a stimulé mon imaginaire », avoue-t-il. « Il retourne vers eux (les anciens) avec les outils d'aujourd'hui », renchérit pointant des œuvres comme Time stretch (on Gesualdo), qui donne son titre au livre, Huit moments musicaux regardant vers Schubert , All ‘ungarese (Bartók) ou encore Quasi lento (Debussy). Le temps que nous vivons est celui de la synthèse et non plus de l'idéologie, rappelle Mantovani, s'inscrivant pleinement dans cette époque qui fait la somme des styles et des techniques qui ont forgé son savoir faire : « Je suis issu de la culture du GRM », reconnaît-il, même s'il a depuis longtemps abandonné l'activité du studio (trop chronophage) pour développer au sein de l'écriture cette pensée du matériau. Face à son interlocuteur qui lui demande de définir son langage, le compositeur se fait plus fuyant (« j'éprouve une forme de gêne à évoquer mon langage »), mentionnant à tout le moins l'évolution actuelle de son écriture vers la continuité, « qui donne une direction plus forte au discours », avoue cet adepte du jeu conflictuel et de la rupture au sein de l'œuvre.

Les réponses aux questions sur la politique culturelle de la France et le positionnement du compositeur au sein de la société sont toujours percutantes et bien argumentées. Elles n'en traduisent pas moins une inquiétude : « Aujourd'hui, l'utopie est suspecte et l'exigence est taxée d'élitisme », constate Mantovani qui rêve d'une grande fédération européenne des musiciens dont la parole forte pourrait se faire entendre ; « c'est une des raisons pour lesquelles je me suis présenté à l'Institut. Il faut investir les structures », lance-t-il.

Sont abordés également son activité de chef – il est aujourd'hui à la tête de l'EOC (Ensemble Orchestral Contemporain) – , sa passion pour l'orchestre qui autorise une réelle proximité avec le son et ses partitions en cours, celle d'un troisième opéra traitant, comme les deux premiers, d'un sujet politique.

« Rhétoricien de l'écriture, de la transmission, de l'exécution, d'une forme de politique culturelle », c'est ainsi qu'aime se définir , envisageant l'ensemble de ses activités comme les composantes d'un même métier où il s'agit tout à la fois de dire, de convaincre et d'éveiller.

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